Requiem allemand de Brahms à l’Auditorium de Lyon
À la mort de son proche ami Robert Schumann en 1856, Johannes Brahms (1833-1897) ne peut oublier ses encouragements à créer une œuvre symphonique d’envergure. C’est une autre douloureuse perte, celle de sa mère en février 1865, qui l’incite à composer une grande cantate funèbre, « sorte de Requiem allemand », dont il choisirait lui-même les textes dans la Bible, traduite en allemand par Martin Luther. De confession luthérienne, Brahms s’éloigne ainsi de l’habituelle forme de la Messe des morts catholique, exprimant plutôt ses propres convictions sur la vie et la mort : la confiance du Chrétien face à la mort, l’espérance en la bonté divine, la consolation des vivants qui pleurent leurs morts. Un véritable « Requiem humain » selon les mots du compositeur en personne.
Pour introduire ce chef-d’œuvre célébrant l’Espoir malgré la mort, un autre Requiem unique en son genre est proposé au public lyonnais : la Sinfonia da Requiem de Benjamin Britten (1913-1976). Alors qu’il s’est exilé aux États-Unis à cause de la Seconde guerre mondiale, Britten reçoit en 1940 commande du gouvernement japonais pour célébrer le 2600e anniversaire de la dynastie impériale Mikado. Composée pour orchestre, sans chœur, la symphonie comporte trois mouvements, inspirés de la Messe des morts catholique sans avoir d’autre lien liturgique : Lacrymosa, Dies irae et Requiem aeternam. Les références chrétiennes et le caractère pacifiste de l’œuvre n’ayant pas plu au commanditaire, elle fut rejetée et créée le 26 mars 1941 au Carnegie Hall de New York.
Ce soir, l’Orchestre national de Lyon est dirigé par le chef américain David Zinman, qui sait gérer adroitement les différents équilibres que nécessitent les harmonies colorées et profondes de Britten. Dans la « marche lente et douloureuse » du Lacrymosa, les harmonies sont parfois quasi-irréelles, d’autres fois profondément douloureuses, voire perçantes. Le jeu sautillant des cordes interrompu par les échos de fanfare des cuivres donne au Dies irae des airs de danse des chevaliers : la musique est tout aussi effrayante et dramatique que comique et surprenante. Enfin, les cors sereins répondent aux apaisées mélodies modales du trio de flûtes, dans une berceuse – un rien statique – résolue au doux repos éternel. Globalement, David Zinman opte pour une interprétation proche du recueillement, voire de la tendresse. Elle ne se veut ni une prière excessivement contemplative, ni une louange trop vivante. Le rendu est ainsi une œuvre qui se veut propre et raisonnable, laissant la musique parler d’elle-même, sans lui rajouter des intentions qui la mettraient davantage en valeur et, surtout, servirait le texte avant les notes. Le premier mouvement se fait bien consolant. Le mouvement suivant est une promenade alourdie par la peine davantage que par la douce patience à laquelle exhorte la Parole du Seigneur. La quatrième partie est la plus convaincante, faisant ressentir un tendre et rassurant amour.
L’esprit de cette direction peut se voir dans la gestuelle du chef : ample et souple, elle manque de précision autant pour le chœur que pour l’orchestre. Celui-ci, professionnel, sait gérer cette lacune en à peine une mesure, malgré un premier mouvement au tempo instable. La tâche est bien plus difficile pour le chœur, qui ne maîtrise déjà pas la précision de ses consonnes : exemple frappant dès le début de l’œuvre, les sons « s » et « t » de « selig sind » fusent de toutes parts. Le premier mouvement, plus que les autres, fait fortement ressentir une sorte de lutte entre le chœur, pressé dans ses interventions – surtout le pupitre des ténors –, et l’orchestre solidement accroché à son tempo, sans que le chef ne semble véritablement travailler à l’équilibre. Malgré ses imprécisions, le Chœur Spirito montre une belle homogénéité et sait se faire puissant, notamment pour l’appel « Hölle, wo ist dein Sieg ? » (Ô Moer, où est ton aiguillon ? – partie VI). Le chœur fait également entendre un « Ich hoffe auf Dich » (Mon espérance est en Toi – partie III) particulièrement intense harmoniquement. On peut regretter que la fugue de la sixième partie manque de clarté, les choristes semblant plus concentrés sur leur texte et rythmes que sur la ligne vocale.
Les deux solistes n’ont que quelques interventions : le baryton Nikolaï Bortchev soigne sa prononciation et sa projection, faisant de lui un convaincant transmetteur de son texte, aidé par un timbre noble et chaleureux. La soprano Camilla Tilling n’a aucun souci de projection non plus, aidée par son ample vibrato, charmant par son timbre lumineux. Toutefois, son texte ne semble contenir presque aucune consonne, empêchant toute compréhension.
Par ses applaudissements, le public de l’Auditorium-Orchestre national de Lyon se montre reconnaissant pour ces chef-d’œuvres, dont l’interprétation est toujours difficile et extrêmement exigeante par leur perfection, tant par leur écriture géniale que par leur message fort et sincère.