Fidelio enthousiasme le public du Théâtre des Champs-Élysées
Depuis plusieurs années, Giovanni Antonini, un des membres fondateurs de l’Ensemble baroque Il Giardino Armonico et spécialiste, entre autres compositeurs, de Vivaldi, élargit son répertoire en abordant notamment Mozart (il dirigera Don Giovanni toujours au TCE en janvier prochain), Haydn ou encore Bellini – pour la Norma de Cecilia Bartoli. Principal chef invité du Kammerorchester Basel, il réalise avec eux une intégrale des Symphonies de Beethoven remarquée. La direction d'Antonini, pleine de vigueur, de vitalité, fortement contrastée, inscrit l’œuvre dans le champ du répertoire dramatique – même pour cette simple version de concert. Les quelques attaques imprécises de l’orchestre suivant le tutti abrupt et volontaire qui ouvre l’œuvre ne sont qu’un léger faux pas dans une interprétation précise, rigoureuse, capable de traduire aussi bien la suspension du temps dans le miraculeux quatuor du I que le vide et la désolation (extraordinaire introduction du Chœur des Prisonniers), ou encore la jubilation du finale. Giovanni Antonini est magnifiquement secondé par le Kammerorchester Basel et surtout le chœur (Basler Madrigalisten), impeccable de précision, de dramatisme et de musicalité.
En Jaquino, Patrick Grahl déploie une voix pleine de tendresse, douce mais fort bien projetée. Matthias Winckhler campe un Don Fernando jeune, plein de noblesse et d’autorité naturelle, capable de foudroyer Pizarro d’un simple regard. Le timbre, clair et soyeux, est d’une grande beauté. La voix, souple et flexible, est émise avec facilité et beaucoup de naturel (on retrouvera prochainement cet artiste dans la rare Ville morte de Korngold à Toulouse). Le Rocco d’Albert Dohmen, dont le timbre parlé présente, étonnamment, les mêmes qualités que la voix chantée (couleurs chaudes, vibrantes, profondes, veloutées), est plein d’humanité. Le Pizarro de Sebastian Holecek est violent et détestable à souhait. Doté d’une voix de basse bien différente de celle de Rocco, aux couleurs plus claires mais néanmoins parfaitement capable d’émettre les notes les plus graves du rôle avec puissance, le chanteur donne à son élocution un mordant conférant au personnage toute l’agressivité qu’il convient. Quant à Regula Mühlemann, elle confirme en Marzelline les qualités déjà décrites dans nos pages : son interprétation pleine de fraîcheur, sa voix à la fois douce et chaleureuse, richement colorée, sans rien d’acide ni de pointu, dotée d’une puissance lui permettant de tenir crânement sa partie dans les ensembles sans disparaître derrière celles de Léonore ou de Florestan, donnent à Marzelline l’épaisseur d’un rôle de premier plan.
Michael Spyres, vivement applaudi, paraît en très grande forme. L’attaque redoutable du « Gott! » qui ouvre le rôle, suivie d’un beau crescendo, est parfaitement maîtrisée. Et surtout, les aigus difficiles qui viennent hérisser la seconde partie de l’air, très habilement négociés, sont émis sans jamais briser la ligne de chant. L'interprète campe un Florestan souffrant dans sa chair, très émouvant. La pâte moelleuse du timbre se déploie sans effort apparent et suscite naturellement l’émotion, par le soin extrême accordé aux nuances mais aussi aux mots, la prononciation de l’allemand étant maîtrisée y compris dans les passages parlés du rôle.
Adrianne Pieczonka interprète ici un rôle qu’elle connaît parfaitement (elle est la seule à n’utiliser ni partition, ni livret) et dont elle maîtrise toutes les difficultés, à une note près (le si aigu concluant le duo « O namenlose Freude ! », juste esquissé). Le timbre, un peu acide et tranchant, manque parfois de rondeur et de velouté, qualités particulièrement bienvenues quand le personnage retrouve sa féminité face à son époux (féminité que la chanteuse reconquiert autrement, notamment par une élocution plus douce et l’utilisation de belles nuances). Mais la technique est là, qui permet à Adrianne Pieczonka de maîtriser les écarts redoutables et d’alléger sa voix quand nécessaire (même si, après l’ineffable « Leonore ! » de Michael Spyres dans le duo d’amour, on aurait aimé qu’Adrianne Pieczonka chante « Florestan ! » avec la même douceur et la même tendresse dans la voix), de chanter convenablement la vocalise sur « Ich will, du Armer, dich befrein » / « Je veux, pauvre homme, te délivrer » (duo Rocco/Leonore, acte II), ou de se faire entendre sans aucune difficulté lorsque l’orchestre éclate.
Une soirée couronnée de succès, le public, extrêmement concentré pendant le concert, réservant des applaudissements enthousiastes à l’ensemble des artistes.