A Ambronay, ça décoiffe avec le violoniste et chanteur Dmitry Sinkovsky !
Inspirée
des procédés vocaux antiphoniques (deux groupes se répondent) et
responsoriaux (un groupe répond à un soliste) des diverses
pratiques liturgiques religieuses, la musique instrumentale italienne
développe le genre concertant à la toute fin du XVIe
siècle. Mettant en valeur un soliste par des effets de contrastes
avec un groupe de musiciens, le tutti, le concerto donne une
liberté d'expression aux couleurs multiples, parfois démonstratives,
d'autres fois confidentes et intérieures. Si le concerto naît en
Italie, avec comme représentants emblématiques Arcangelo Corelli
(1653-1713) et Antonio Vivaldi (1678-1741), le genre conquiert les
compositeurs étrangers, particulièrement allemands, dont Georg Philipp Telemann (1681-1767) et Jean-Sébastien Bach (1685-1750).
Le violoniste et contre-ténor russe Dmitry Sinkovsky avait fait ses débuts au Festival d'Ambronay lors d'un concert de clôture la saison précédente, dont nombre de spectateurs se souviennent encore. Avec les dix musiciens de son ensemble La Voce Strumentale, il revient mettre face à face des œuvres concertantes italiennes et allemandes.
Les premières mesures du Concerto pour trois violons en fa majeur de Telemann annoncent de suite l'interprétation vivante et très personnelle de l'ensemble, dominée par la personnalité de son chef. Les intentions sont contrastées, parfois surprenantes, surtout de la part du contrebassiste dont les accents sont tels que la baguette de son archet frappe fréquemment ses cordes. Les basses sont souvent très présentes, notamment dans le mouvement central Largo où elles menacent de couvrir le chant expressif des trois solistes. Plus encore que ses deux talentueuses co-solistes, Elena Davydova et Svetlana Ramazanova, Dmitry Sinkovsky impressionne par sa technique d'archet dans le Vivace. Le Concerto grosso "Il Pianto d'Arianna" de Pietro Locatelli (1695-1764), élève de Corelli, alterne mouvements lents, aux aspects même mystérieux, et alertes, presque effrayants. Sinkovsky dirige tout en jouant avec un engagement certain, battant rarement la mesure pour éventuellement redonner un certain élan. Étant parfois de dos pour diriger tout en jouant, sa partie solo est parfois un peu masquée par l'ensemble. La respiration est assurément importante pour le violoniste-chef, exhortant ainsi ses musiciens à comprendre ses attaques et phrasés. Parmi les effets surprenants, les silences sont particulièrement saisissants, invitant l'auditeur à vivre la même respiration que le soliste. Lors du célèbre et magnifique Concerto pour violon en la mineur de Bach, le violon de Sinkovsky manque de volume face au ripieno (ensemble), sans doute encouragé par l'enthousiasme collectif. Il se montre un peu lourd lors de l'Andante, malheureusement gâché par un tempo cédant à un certain empressement, fréquent lors du concert et particulièrement dans ce mouvement lent et le suivant Allegro assai. L'énergie y est telle que la corde de mi du violoniste finit par céder, sans qu'il ne s'en formalise : la fin de l'œuvre souffre alors d'une justesse un peu agressive.
Le mouvement lent du Concerto pour violon en mi mineur "Il FavoritoII" de Vivaldi est captivant et fort touchant, Dmitry Sinkovsky jouant comme sur un fil, avant un tempétueux Allegro, faisant entendre des passages de bravoure aux allures de Rock'n'Roll. Il en prend un plaisir évident, le public également qui le manifeste par de chaleureux bravi. Le musicien russe s'éclipse ensuite et laisse place à la violoniste et violiste Mariia Krestinskaia avec le luthiste Luca Pianca pour le Concerto pour viole d'amour et luth en ré mineur de Vivaldi. La douceur et la chaleur de la viole, malgré un son un peu tendu, et l'intimité sereine du luth sont mêlées à une virtuosité assurée et impressionnante, particulièrement de la part de la violiste.
Dmitry Sinkovsky remonte ensuite sur scène pour interpréter, en tant que chanteur, le Nisi Dominus de Vivaldi. Les relations entre ses caractéristiques instrumentales et vocales sont incroyablement comparables. Tout d'abord, la palette de timbres est tout aussi propre à sa personnalité que le son de son violon, franche ou filée selon les intentions du texte, comme la couleur pianissimo très intéressante de son "Vanum est vobis" (En vain vous vous levez) ou celle incroyablement soyeuse de son "Cum dederit dilectis suis somnum" (Il comble ses bien-aimés dans son sommeil). Sa gestion du souffle est parfois aussi impressionnante que celle de son archet. Ses vocalises sont tout aussi soignées que sa technique de main gauche : la priorité est donnée au son et à l'intention.
Le charisme de Dmitry Sinkovsky fait toujours autant d'effets sur le public ambrunois, qui en redemande encore. Le violoniste offre en bis un mouvement lent de l'un des nombreux concerti pour violon de Vivaldi, aux couleurs tendrement évocatrices, puis le mouvement final et vivant du Concerto en la mineur de Bach. Le public reste toujours sous le charme mais, comme le partage une spectatrice : "toute bonne chose a une fin !"