Fantaisie romantique et shakespearienne à La Seine Musicale
La Seine Musicale se renomme "Îlot Barock" le temps de quatre dates rassemblant les plus grands compositeurs de cette époque (Bach, Haendel, Purcell) dans l'écrin boisé et chaleureux de son auditorium. Si le programme de ce deuxième rendez-vous (notre compte-rendu de la veille) convoquant les romantiques Felix Mendelssohn et Carl Maria von Weber paraît au premier abord éloigné de l'intention programmatique initiale, il y est profondément lié par la référence à Shakespeare, dramaturge dont l’imaginaire baroque nourrit l'inspiration des deux compositeurs. De Weber, l'opéra Oberon, sorte de fantaisie opératique où se retrouvent plusieurs opus du dramaturge (Le Songe d'une nuit d'été, La Tempête) mêlés à l’univers d’Huon de Bordeaux, chanson de geste médiévale, avec qui plus est des références orientalistes tel que cela était en vogue à l'époque, et dont Laurence Equilbey propose l'ouverture. De Mendelssohn, Le Songe d'une nuit d'été, partition parmi les plus célèbres du compositeur et dont les différentes parties forment autant de tubes (que ce soit l'ouverture, le Scherzo ou la Marche nuptiale). Et entre ces deux invitations à l’univers shakespearien, le Konzertstück (pièce de concert) pour piano et orchestre de Weber, pièce peu connue et rarement jouée qui, à l’instar des deux autres ouvrages, fait référence à une autre histoire, cette fois-ci imaginée par le compositeur lui-même.
C’est par un généreux et lyrique motif de trois notes offert par le cor (l’équivalent pour le personnage d’Oberon de la flûte de Papageno) que s’ouvre le concert avec l’ouverture du dernier opéra de Weber, dont la chef distille une interprétation pleine d’éclat et de lyrisme. Déployant le motif initial, elle souligne habilement le contraste entre le son plein des parties modérées et les parties rapides d’où elle extrait un son aiguisé et ciselé d’une précision rythmique et mélodique irréprochable, émanation d’une fougue pleine d’ivresse. Après cette brève échappée en ouverture, un pianoforte est amené sur le devant de la scène (dont le cadre boisé résonne avec la toile de l’auditorium) pour un Konzertstück (littéralement « Pièce de concert ») pour piano et orchestre incarné sous les doigts du pianiste russe Alexei Volodin. À l’instar du Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn (ce dernier ayant par ailleurs interprété le Konzertstück le soir de la création de l’ouverture de son œuvre magistrale), les vents ouvrent la pièce avec un thème d’une légère plainte, précédant l’entrée du piano en un long arpège introductif baigné de pédale. Le jeu de l’interprète oscille entre une sobriété modérée et un lyrisme exacerbé qu’appellent les glissandi, les brusques changements de nuances ou les arpèges houleux, soutenu par une phalange attentive mais qui, malgré tout, laisse parfois s’échapper quelques décalages avec l’interprète. Confronté à des parties redoutables requérant une main de fer, le pianiste force l’admiration en conservant un jeu précis en toute circonstance. Les volutes mélodiques presque chopinesques comme d’impétueux sauts d’octaves ne perturbent pas son jeu. L’usage modéré de la pédale bénéficie grandement à l’interprète, lui permettant de proposer un discours d’une grande clarté. En guise de bis et de fin de première partie, l’interprète gratifie le public de la valse de Chopin dite « Valse minute » oscillant entre un début et une fin bouillonnant d’agitation et une partie centrale mettant à l’honneur le beau chant, laissant échapper de son instrument de superbes et sensibles piani.
Après l’entracte, des femmes du Chœur Accentus et les deux solistes rejoignent l’Insula Orchestra pour Le Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn en version musicale (à distinguer de la version scénique dans laquelle un acteur déclame le texte du mélodrame sur la musique). Appréciable, le sur-titrage renseigne l’auditeur aussi bien sur les paroles en allemand déclamées par les voix, mais aussi quant au lieu où se déroule l’ouvrage, lui permettant d’en suivre les inflexions au fil du discours orchestral et vocal. Incarnant des elfes dans la Berceuse puis dans le finale, la soprano Sheva Tehoval et la mezzo Anna Reinhold dessinent des lignes pleines de charme et de mystère, évocatrices de la féerie poétique du texte shakespearien. La première est une voix légère au timbre chatoyant et d’une belle fraîcheur, articulant son discours avec souplesse en des syllabes bien détachées dans des aigus clairs et lumineux. La seconde possède également un joli timbre très agréable à l’oreille, délivrant des notes agiles, rondes et chantantes. Avec les voix du Chœur Accentus (un cortège d’elfes), elles forment un tout bien homogène, dont la cohésion dans l’attaque et dans l’intensité engendre de superbes harmonies, chuchotements détachés d’une seule voix.
Tout au long de l’ouvrage, la battue de Laurence Equilbey est énergique, stricte et précise (ce qui n’empêche pas quelques décalages entre les pupitres). Elle suscite chez sa phalange un bel entrain, un discours bien articulé, des nuances contrôlées et l’accorde à la dramaturgie de l’histoire dont elle tisse habilement la trame. Le preste Scherzo montre des gestes millimétrés quoique légèrement rigides, suggérant un son assez serré où les vents demeurent timides face aux cordes. De belles contrebasses ornent par ailleurs le chœur des elfes, tel une évocation, au milieu de cette féerie vocale, des bruissements étranges de la forêt, alors que la Marche nuptiale, véritable tube de Mendelssohn et hymne des mariés, est jouée retentissante à tempo soutenu et allant.
En bis, un autre extrait de l’Oberon de Weber où se joue une tumultueuse tempête, l’occasion de conclure le concert avec brio à grands coups de timbales, de cordes et de cuivres, précédant une salve d’applaudissements.