Lohengrin à Gand, lost in interprétation
Le sublime Prélude du premier acte passé, le rideau se lève sur une vision Orwellienne (un Sin City placé en 1984), avec des bâtiments à la ligne de fuite bancale, dont les fondations sont penchées sur les gravas. Témoins d’un vestige passé, les chanteurs se tiennent droits dans une foule de personnages aux vêtements gris, armés et aux regards durs.
La mise en scène de David Alden est littérale, peut-être même trop radicale mais surtout attendue : le patrimoine et l'histoire allemande collent à ce chef-d'œuvre (tristement depuis 1945) et Lohengrin a encore ici des odeurs de souffre. La scène est toujours grise alors que le chevalier au cygne et sa gloire héraldique sont teintés de vert-foret, blanc-victoire, rouge-batailles et bleu-royal. Ces lumières sont crues, et la pesanteur se fait sentir sous les haut-parleurs.
Sous la direction musicale d’Alejo Perez, la partition de Lohengrin gagne une sonorité métallique. Survoltés, les musiciens tendent vers une pompe guerrière, chacun essayant de rendre aux arias la force de son instrument : il semblerait que la guerre ait toujours lieu dans la fosse, entre brillances, éclats, puissances et essoufflements.
La communication semble aussi difficile avec le plateau vocal, qui souffre hélas d'incohérences, notes fausses et brillances effacées. Les voix sont pourtant intéressantes. Le caractère théâtral de chacun est très soigné, assumant la présence et quelques clichés. Craig Colclough qui incarne Telramund fait preuve d’une belle vivacité. La voix grave est alerte, le souffle puissant, au brio sans retenue. Les "r" roulés renforcent cette force héraldique avec un naturel qui confirme une maîtrise du rôle.
Sa compagne d’infortune, Ortrud trouve en Irène Theorin, habituée des rôles Wagneriens une présence vocale confiante, riche, opulente même, avec de beaux vibratos malgré un léger manque de souffle. Le mouvement scénique en revanche semble peiner par l’inclinaison du plateau principal. Les déplacements sont mesurés, hésitants, mais la générosité du chant offre à la partition une richesse d'aigus remarquable, jusqu'à la stridente hystérie (dans le caractère).
Remplaçant de dernière minute, Wilhelm Schwinghammer incarne le Roi Henry avec une assurance cernée de beaux graves, riches et profonds. Un peu en retrait, sa discrétion détonne face au "sur-jeu" des autres chanteurs, mais la qualité de voix paie et lui assure une présence remarquée.
Discrète, malgré son premier rôle, Liene Kinča semble usée. Sa maîtrise des graves contre ses difficultés dans les aigus virginaux, mais reste à la peine. La fatigue semble en être la raison, ou bien les jours gris qui peinent le septembre belge. Déroutante interprétation également que celle de Zoran Todorovich, connu dans ce rôle-titre qu’il avait déjà tenu à Palerme en 2009. Il choisit l’économie d’un chanté-parlé, aux voyelles coupées et simples, voire brutales (antinomiques avec le caractère attendu de Lohengrin). Le chant va jusqu'à ralentir, comme possédé d’une vision façon théâtre contemporain.
Vincenzo Neri offre au Héraut d'armes une belle surprise, façon steampunk, à la limite des peintures allemandes d’après-guerre. La voix confiante, jeune et ornementée soutient une juste discrétion scénique (contrastant avec le reste du plateau).
Cet entre-deux-guerres laisse pour image son cygne mis en pierre façon aigle du Reich.