Rendez-vous à Strasbourg per un Barbiere di qualità (superiore) !
Dès l’ouverture du Barbier de Séville, le jeune chef Michele Gamba apparaît comme l’homme de la situation : précision, tempi pleins d’allant – mais sans précipitation excessive, sens du contraste, de la progression et de l’architecture, délicatesse des détails et des couleurs – jusqu’à l’art d’empêcher un léger décalage de s’installer dans le finale de l'Acte I ! Le tout sans excès et toujours au service de la construction dramatique : les ensembles sont particulièrement réussis, telle la « scène de la barbe » du second acte superbement mise en place, avec le contraste entre les digressions de Figaro, les tendres apartés des amoureux et la précipitation du Bricconi ! Birbanti ! (« Brigands ! Coquins ! ») de Bartolo. Autre exemple révélateur : les doux échanges entre Rosine et Almaviva avant le trio de l’échelle au second acte (Dolce nodo / « Doux liens »), par le tempo retenu que choisit le chef et la mise en valeur du délicat accompagnement orchestral, ne sont plus de simples banalités d’amoureux destinées à susciter le rire devant l’impatience de Figaro, mais deviennent un vrai chant d’amour.
Cette direction musicale trouve un parfait complément dans la mise en scène élégante, racée, drôle que propose Pierre-Emmanuel Rousseau. Aucun temps mort dans ce spectacle trépidant, qui évite pourtant l’accumulation (parfois indigeste) de gags. Des gags, il y en a, et certains sont très drôles (les aigus de Rosine dans sa cavatine, qui s’apparentent à des cris de douleur provoqués par le coiffage un peu brutal de Berthe !), mais ils ne se superposent pas à l’action : ils la rythment, la progression dramatique étant également assurée par une direction d’acteurs précise et efficace. La caractérisation de certains personnages est habile et originale : Figaro, picaro (ou ragazzaccio : « mauvais garçon » !), au visage balafré, est chassé, lors de sa cavatine, d’une maison où il vient visiblement de « sévir » ; quant à Rosine, elle est dotée d’un caractère bien trempé : alors que Bartolo chante son air A un dottor della mia sorte (« À un docteur tel que moi ») lors d’un dîner en tête-à-tête avec sa pupille, celle-ci, telle Tosca, se saisit de son couteau et semble prise d’envies de meurtre !
Bref, Pierre-Emmanuel Rousseau raconte et amuse avec goût et intelligence, mais le public retiendra également sans aucun doute ses décors et costumes, remarquablement pensés et conçus, et immédiatement séduisants pour l’œil : le même espace scénique, moyennant quelques arrangements et éléments de décor supplémentaires, suggère avec la même efficacité une place de Séville, un élégant patio ou le salon de Bartolo. Le metteur en scène recueille au rideau final les applaudissements nourris et unanimes des spectateurs !
La distribution seconde à merveille les volontés du metteur en scène : véritable équipe de chanteurs-acteurs, chacun s’évertue à faire vivre au mieux son personnage. La jeune Marta Bauzà, imperturbable Berta, promène son improbable coiffure pendant tout le premier acte et s’avère très convaincante dans son air Il vecchiotto cerca moglie (« Le vieillard cherche femme »), dans lequel elle fait ses bagages, bien décidée à quitter cette maison de fous qu’elle ne supporte plus ! Carlo Lepore et Leonardo Galeazzi sont des Bartolo et Basilio plus vrais que nature. Le premier impressionne par la virtuosité et la précision de son chant syllabique. Le second prête à Basile les accents sombres et menaçants de sa belle voix de basse, capable de susurrer les plus perfides allusions comme de tonner pour le colpe di cannone (le « coup de canon ») de la Calomnie ou l’ultime « Buona sera » du quintette, au second acte ! Son jeu scénique, son comportement vis-à-vis de Rosine (aux charmes de laquelle il ne semble pas insensible), la couleur verte (celle du diable !) qui accompagne chacune de ses apparitions confèrent par ailleurs au personnage une dimension étrange, à la fois comique et effrayante !
Des trois têtes d’affiche, le Comte du jeune ténor roumain Ioan Hotea (qui remplaçait Michael Spyres dans ce rôle aux Chorégies il y a quelques semaines) paraît légèrement en retrait : son air d’entrée le cueille à froid, avec une émission nasale et une ligne de chant un peu fluctuante. Les choses s’améliorent progressivement. Mais la virtuosité reste un peu sage (les vocalises finales de sa cavatine sur les mots egual non ha ont été abrégées, et il ne chante pas le redoutable Cessa di più resistere). Scéniquement en revanche, il est excellent (il joue notamment à merveille l’élève de Basile, avec un air particulièrement niais qui suscite immanquablement les rires nourris du public !). Leon Kosavic (Figaro), à n’en pas douter, est un nom à suivre. Tout au plus peut-on lui reprocher quelques vocalises un peu savonnées dans son duo avec Rosine, et certaines limites dans l’aigu (ceux de sa cavatine sont esquissés ou habilement escamotés). Mais, séduisant en diable, alerte sur scène, doté d’une voix riche, aux couleurs personnelles, magnifiquement projetée, il conquiert le cœur du public.
Quant à Marina Viotti, elle ne cesse de confirmer les nombreux espoirs placés en elle, notamment à l’occasion de divers concours de chant. Sa Rosine est tout simplement exemplaire : une voix belle, saine et naturelle, ne forçant jamais ni dans le grave qu’elle ne poitrine pas, ni dans l’aigu qu’elle est capable de nuancer, une virtuosité remarquable sans être jamais ostentatoire, un goût très sûr dans l’ornementation, discrète et élégante. Marina Viotti excelle aussi dans les répertoires russe (elle a proposé une très belle Olga d’Eugène Onéguine toujours à l’Opéra du Rhin en juin dernier), et français (son air de Dalila avait fait sensation lors du concours Kattenburg, à Lausanne, en 2017) : on ne peut donc qu’augurer le meilleur pour la carrière de cette très belle artiste !
Magnifique succès au rideau final pour tous les acteurs de cette réussite. Assurément, per un Barbiere di qualità, c’est à Strasbourg qu’il faut aller en cette rentrée lyrique !