Le Trouvère principalement conjugué au féminin à l’Opéra de Liège
Comme Ôlyrix l’indiquait lors de sa présentation de la saison lyrique 2018/2019 de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, les ouvrages de Giuseppe Verdi occupent une place prépondérante au sein de la programmation annuelle de ce théâtre. Cette production du Trouvère déjà présentée in loco en 2011 et ouvrant la saison, a pour origine le Théâtre Lyrique Giuseppe Verdi de Trieste (elle y a fait l’objet d’une reprise en début d’année 2018), dont le metteur en scène du spectacle Stefano Vizioli, a pris la direction artistique l’an dernier. Privilégiant le côté profondément sombre du drame et le clair-obscur, Stefano Vizioli, en lien avec Alessandro Ciammarughi pour les décors et costumes, Franco Marri s’agissant des éclairages, plonge au sein d’une Espagne des cauchemars et préfigurant la terrifiante Inquisition. Deux escaliers noirs délimitent l’action, se conjuguant ou se déplaçant au gré des scènes, se transformant à l’occasion en dangereuses machines de guerre. Peu de couleurs, sinon le rouge flamboyant du feu ou une grande croix toute illuminée de blanc lors de l’entrée de Leonore au couvent.
Au sein de ce dispositif théâtral en soit convaincant, il apparaît un peu dommage que les interprètes ne bénéficient pas d’une direction d’acteurs plus précise, plus singulière. La pulsation dramatique indispensable dans cet ouvrage particulièrement complexe n’apparaît dès lors que partielle, limitée dans ses effets et ses rebondissements. Les ressorts verdiens sont plutôt à rechercher du côté de la direction musicale de Daniel Oren, qui effectue ici ses débuts à l’Opéra de Liège. Le chef, habitué à diriger pour les plus grandes scènes lyriques du monde, connaît parfaitement son affaire : il n’en est pas à son premier Trouvère. Il donne à la partition de Verdi une impulsion franche non dénuée de nuances. Il maintient l’ensemble dans une cohésion qui jamais ne se relâche ou ne s’atténue : les forces de l’Opéra Royal de Wallonie, Orchestre et Chœurs, le suivent en tout ! Daniel Oren reçoit d’ailleurs une large ovation de la part du public liégeois.

C’est également du côté de la distribution vocale féminine que la satisfaction se fait jour. Yolanda Auyanet incarne une Leonora de caractère, sensible et fort convaincante, même si la production ne lui permet pas d’explorer toutes les facettes de ce personnage bien mystérieux. La voix se pare de belles couleurs sombres aux instants les plus dramatiques, se déploie sans effort apparent même si l’aigu apparaît quelquefois un peu dur dans ses appuis. Elle se plie aux nombreuses phases d’agilité de ce rôle particulier de soprano dramatique et rend ainsi pleinement justice à la cavatine de son air d’entrée, alors que l’air du début du quatrième acte "In Questa oscura notte ravvolta" suivi du terrible Miserere la poussent dans ses extrêmes. Mais l’artiste demeure fort attachante et authentique dans son approche.

Le parcours artistique de Violeta Urmana est déjà long et se partage entre les registres de soprano-dramatique et de mezzo-soprano. Sa confrontation avec le rôle d’Azucena remonte à ses débuts de carrière et fut consacrée dans le cadre d’un enregistrement dirigé par l’éminent spécialiste de Verdi, Riccardo Muti placé à la tête des forces de La Scala de Milan. Le temps a laissé ses marques bien entendu, mais la prestation de Violeta Urmana force encore et totalement le respect. Sa présence forte et puissante marque la scène, même si la gestuelle paraît un rien trop appuyée dans ses effets. La solidité du matériau vocal, la fulgurance de l’aigu, l’appui dans les graves, la largeur même des moyens donnent toute sa consistance à ce rôle de bohémienne éperdue et proche de la folie. Elle parvient ainsi à bousculer un peu le passif Manrico de Fabio Sartori.
Ce dernier pour autant possède assurément les moyens du rôle : le timbre est fort attractif, le matériau considérable, le musicien est attentif au legato, à la nuance et l’aigu ne lui pose aucun problème, bien au contraire. Mais l’incarnation reste à la surface des choses, peu ardente. Il convient nonobstant de saluer sans réelle réserve la prestation vocale de ce vrai ténor lyrico-spinto (lyrique appuyé).

Le timbre relativement clair du baryton Mario Cassi (le situant somme toute assez loin du baryton Verdi ici requis) et une approche esthétique moins aboutie que ses collègues marquent sans relief excessif le rôle du méchant Comte de Luna, qui reste en retrait. Luciano Montanaro donne à l’inverse un relief certain au rôle de Ferrando, même si sa voix de basse livre un chant pas toujours aussi stable que souhaité.
