Le Songe d'une nuit d'été à Limoges : croisement culturel, réveil spirituel
Immobiles sur des blocs de béton sur une plage, dos à la mer et entourés d’épaves de bateaux-ferrailles, un groupe d’enfants angolais attend le public. Comme dans une peinture animée, les enfants bougent peu, mais leurs chemises blanches flottent dans le vent. La musique commence. Le Songe d'une nuit d'été de Mendelssohn, avec tout l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine, son chœur de femmes, deux chanteuses solistes, et un récitant.
Pour sa mise en scène, Juliette Deschamps a été inspirée par un groupe d’enfants qu’elle a observés dans un bidonville d’Afrique devant un cinéma : l’entrée leur étant interdite, faute d’argent, ils se dédommageaient en mimant et en jouant l’intrigue du blockbuster qu’ils ne pouvaient pas voir. Deschamps a alors songé au groupe d’acteurs amateurs qui jouent la pièce dans la pièce, Pyrame et Thisbé, dans Le Songe d’une nuit d’été. Ces enfants paraissent ainsi, dansant, mimant un mariage dans une église, ou simplement debout devant la caméra à nous regarder avec leurs grands yeux.
Cet alliage potentiellement incongru est composé avec grâce et subtilité. L'essentiel de la vidéo projetée est muet (à part deux brèves exceptions très drôles où les enfants se chamaillent en portugais -avec des sous-titres). Elle ne vole pas la vedette à Mendelssohn, n’entrave pas l’écoute attentive de ce bijou si délicatement tissé. Au contraire, elle l’épice et l’alimente (comme en ce moment même à Bastille, dans un autre registre mais complémentaire, le Tristan et Isolde par Bill Viola).
Dans un moment privilégié, par exemple, un jeune garçon au masque de lion, puis un autre aux oreilles d’âne, dansent et font des sauts périlleux sur la plage. Leurs longues jambes fines sont ralenties par la vidéo pour épouser la musique, ce qui crée un effet de suspension. Ainsi les garçons semblent-ils flotter et voler sur le sable. La scène est relayée en boucle, se répétant à mesure comme le fait la musique. Autre moment sublime : les enfants en groupe sont projetés en silhouette contre une lumière très rouge, alors que l’orchestre et les solistes sont également illuminés de rouge. L’image et la musique fusionnent, s’entre-révèlent dans une sorcellerie inexplicable.
Si Le songe d’une nuit d’été de Mendelssohn est conçu pour s’insérer sporadiquement dans la pièce de Shakespeare (il s'agit d'une musique de scène qui est jouée en interludes parmi la pièce), ici ce sont les paroles de Shakespeare qui seront insérées dans la musique avec parcimonie. Dans les interstices, de délicieux pentamètres ïambiques en V.O. sont offerts par le récitant, Orlando Seale : juste ce qu’il faut de la langue du « Barde » pour étoffer le monde imaginaire que la musique anime. Dans une superbe prestation, il révèle la musicalité de cette langue. Acteur shakespearien célèbre, Seale incarne tous les rôles de la pièce avec virtuosité, changeant de voix et d’aspect, il décline et rythme ses vers avec imagination et beaucoup d’humour, le tout dans une très belle voix.
Les deux chanteuses solistes, incarnant deux fées, Chloé Briot et Alice Ferrière, accomplissent avec élégance et beaucoup d‘aisance leurs trop brèves interventions, marquées de piqués précis comme de longues phrases liées. La voix soprano intense et radieuse de Chloé Briot (dont on n’oubliera pas l’étonnante prestation dans Pinocchio de Boesmans à Bordeaux la saison dernière) et la mezzo soyeuse d’Alice Ferrière se marient bien. Leur partition joue souvent autour, dans et au-dessus de la ligne chorale, or Briot et Ferrière se détachent de la fusion d'ensemble avec finesse, la complétant avant de prendre leur envol. En revanche dans le grand théâtre de Limoges encore un peu plus de brillant et une touche de légèreté supplémentaire pour Briot aurait rendu leurs interventions plus excitantes pour l’oreille, et aurait permis plus de contraste entre les deux voix pour mieux les distinguer. Force est toutefois de constater que Mendelssohn a un peu lésé ses deux chanteuses, qui n’ont que les quatre minutes de « Lied mit cor », plus le Finale (reprenant les mêmes thèmes) pour briller, moments partagés avec le chœur des femmes. Cette phalange chorale (dirigée par Salvatore Caputo) dans une partition difficile (beaucoup de paroles, et beaucoup de notes rapides et aiguës) chante avec limpidité et précision. La performance de l’orchestre bordelais, sous la direction de Paul Daniel, est éblouissante, les multiples lignes mélodiques se détachent avec clarté comme une sculpture finement ciselée. La virtuosité du soliste au cor (Joffrey Quartier) fait de lui l'un des grands héros de la soirée, reconnu par un rugissement d’ovations dans la salle. Les violoncellistes méritent une mention spéciale, ravissants de couleur et d’expressivité.