Amours éternelles, espaces magiques au Festival de Royaumont
Débutant le concert nommé "Amours, espaces" dans le Carré Magique (nom donné à un ensemble de haut-parleurs semi-enterrés encerclant l’auditoire du potager-jardin et l'immergeant dans une spatialisation de sons amplifiés) avant de se rendre au Réfectoire des moines, alternant création contemporaine et merveilles baroques (madrigaux de Monteverdi et Gesualdo), le sextuor Exaudi réparti sur cinq tessitures et dirigé par James Weeks cueille les sublimes et déchirants fruits des amours douloureuses.
Heave : "tirer, casser, s'étirer, s'écrouler". Tel est le titre et la définition thématique de la première création (mondiale) au programme. Une œuvre commandée par la Fondation Royaumont et signée de sa lauréate Sivan Eldar (née en 1985) dont la nationalité israélienne explique que le week-end soit placé sous l'égide de la "Saison France Israël 2018". La composition plonge l'auditeur dans une galaxie de sons tournoyant parmi les haut-parleurs. L'amplification électronique et le traitement du son par ordinateur venant dialoguer avec la beauté purement acoustique des voix, elle n'empêche pas les six chanteurs de moduler leurs configurations spatiales, deux paires de choristes se plaçant derrière puis devant les buissons tandis que deux solistes échangent au centre une complainte éplorée et mystique : « fantôme enchevêtré dans la mémoire nous sommes si proches mais tout autour il y a un monde précaire, pareil à une lumière ténue à travers les feuilles et les doigts ». L'œuvre se referme en une impressionnante éclosion amplifiée : du grave bourgeonnement jusqu'à un essaim granulaire.
En direct de #Royaumont avec @EXAUDIensemble Au pied de l’orgue de l’abbaye, les chanteurs d’Exaudi répètent des extraits de Madrigaux. Dimanche, ils donneront le récital "Amours, espaces" dans le réfectoire des moines et le potager. Infos & réservations : https://t.co/5DGZ6zDzNu pic.twitter.com/f5SKEV01yb
— Royaumont (@royaumont) 5 septembre 2018
Comme pour y servir les roboratifs fruits musicaux cueillis au jardin, l'Ensemble se rend au Réfectoire des moines, le temps de troquer les blue jeans et chemises blanches pour les noires tenues de concert. Ils s'y installent en quintette semi-circulaire aux tessitures mêlées (les deux femmes sont aux extrémités). Ainsi se déploient les madrigaux de Claudio Monteverdi (1567-1643), "O primavera, gioventu dell’ anno" (Ô printemps, jeunesse de l'année) passant au sein d'un poème, voire même au sein d'une phrase, de la joie amoureuse associée au printemps gracieux à la fin des beaux jours dont la tristesse plonge dans de douces harmonies. De même, les pieuses prières sont-elles la rédemption d'un amour torturé criant sa douleur aux étoiles ("Sfogava con le stelle"). Carlo Gesualdo (1566-1613) offre l'occasion de pleurs, violents dans les nuances, sombres et graves mais toujours aussi bien placés dans l'harmonie : "Se la mia morte brami" (Si c'est ma mort que tu veux) & "Deh, come invan sospiro" (Dieu, comme je soupire en vain).
Deux pièces contemporaines de quinquagénaires italiens, données en création française, s'intercalent entre les madrigaux dont ils puisent la qualité polyphonique (le quintette redevenu sextuor et dirigé) en harmonisant un matériau fait d'inspirations et de souffles, chuintements, sifflements, roulements et claquements de langue. Cette œuvre de Lorenzo Pagliei, nommée Corpi celesti se referme sur la résonance bouche fermée de douces sirènes vocales (un bel écho decrescendo au tout début du programme). De belles stases tout aussi rayonnantes portent une double résonance sur Scomparsa d'Osvaldo Coluccino qui sonne longue et ample sous les voûtes en ogives du réfectoire.
Une résonance qui suffira au programme : point de bis malgré deux rappels. Il suffira de revenir à Royaumont, notamment et prochainement sur nos pages au long d'une Nuit Gesualdo.