Classique au vert et Amours d'été au Parc Floral
Le succès de ces rendez-vous musicaux offerts par la Mairie de Paris semble intact si l’on en croit le grand nombre d’auditeurs installés sous le chapiteau dressé dans l’îlot de verdure, ainsi que la fidélité de l’Orchestre de chambre de Paris, présent à ces rencontres pour la quatrième année consécutive. Le Directeur musical de l’ensemble instrumental, Douglas Boyd, sans doute fort occupé aux préparatifs des célébrations du quarantième anniversaire de l’orchestre qui aura lieu le 19 Septembre au Théâtre des Champs-Élysées, cède sa place à Eivind Gullberg Jensen. Rejoint par la mezzo-soprano Hanna Hipp, et quelques oiseaux de passage, le chef norvégien délivre un concert de fin d’été empreint d’une douce mélancolie.
Le ton est donné par la mélodie lancinante de la Pavane pour une infante défunte de Ravel que le chef dirige du bout des doigts dans un tempo étiré. La délicatesse du phrasé des bois dans un halo de cordes avec sourdines insuffle à l’œuvre un caractère doux et désenchanté.
La langueur musicale de l’après-midi se prolonge grâce à la beauté sensible des thèmes de la suite d’orchestre Pélleas et Mélisande de Jean Sibelius. Le drame intemporel de Maurice Maeterlinck inspira de nombreux compositeurs : un opéra à Debussy, un poème symphonique à Arnold Schönberg, une musique de scène à Gabriel Fauré et à Jean Sibelius, dont sont extraits huit numéros composant la suite d’orchestre interprétée en ce jour. Là encore, saluons la performance des bois et notamment du cor anglais incarnant toute la sensibilité de Mélisande. La délicatesse des timbres, malgré parfois un manque de liant acoustique (aléas de la musique en plein air), exacerbe la sensualité de l’amour impossible.
Impossible amour également avec Les Nuits d’été de Berlioz, que transcende la fuite dans le voyage et le rêve. Le compositeur choisit les textes dans le recueil La comédie de la mort de son ami Théophile Gautier et les dédie à six interprètes allemands. Bien que Berlioz prévoyait que ces mélodies puissent être interprétées par six chanteurs différents, l’usage est qu’un seul interprète s’approprie le cycle. La difficulté qui en résulte, une exigence vocale sur une grande tessiture, n’éprouve aucunement la mezzo-soprano Hanna Hipp. Le style léger de Villanelle enracine le cycle dans ce qui était la mélodie française jusqu’alors, une simple romance. Certes, l’important texte français à débiter sur une tessiture élevée n’est pas très favorable à la cantatrice polonaise qui semble quelque peu tendue au tout début du concert. Toutefois, cette tension est vite dominée, elle disparaît même complètement dès la deuxième mélodie, Le Spectre de la rose. La voix résonne somptueusement sur tout son ambitus sans jamais être couverte par l’orchestre, la chanteuse n’hésite pas à poitriner les sons graves (« ni Messe ni De Profundis ») sans pour autant les écraser. La magnificence du timbre vibré et rond éclate dans l’envolée exaltée « j’arrive du paradis ». Hanna Hipp possède la voix idéale pour soutenir aisément l’ampleur des longues phrases de la musique de Berlioz. Coutumière de ce répertoire, elle a chanté Béatrice dans Béatrice et Bénédicte à l’Opéra de Seattle, et Anna dans Les Troyens pour la magnifique production entendue à Strasbourg en 2017.
Elle sait également colorer son chant de nuances subtiles, variant les reprises Sur les Lagunes (« Ah ! s’en aller sur la mer ») ou sur Absence (« Reviens, reviens ma bien aimée ! »). Sur un fil de voix elle entame Au cimetière, se jouant des limites sonores et marie sa voix aux sons enharmoniques des cordes afin de créer une ambiance surnaturelle. La mezzo-soprano répond à l’appel de l’orchestre dans L’Île inconnue de sa voix charnue et profonde (« Dites la jeune belle où voulez-vous aller »).
Avec ce cycle, Berlioz signe la naissance de la mélodie française avec orchestre, orchestre qui chez lui n’est pas simple accompagnement mais bien l’essentiel et l’organique de sa musique. Là encore, la qualité des instrumentistes de l’Orchestre de Chambre de Paris fait merveille même si, parfois, le son semble en retrait, cela étant dû à la sonorisation réverbérante de la chanteuse.
La fin des Nuits d’été signe la fin du concert et de l’après-midi. Le public se disperse pour une dernière promenade dans le parc. Un dernier rendez-vous est pris pour le lendemain : le concert de clôture d’un Festival qui a, cette année encore, connu un grand succès.