Les Éléments : une belle Surprise au Festival de Sablé-sur-Sarthe
Le chef d’orchestre Louis-Noël Bestion de Camboulas, à la direction de son ensemble Les Surprises a imaginé une version de salon des Éléments, un opéra-ballet en 4 entrées (l’Air, l’Eau, le Feu et la Terre) précédées d’un prologue (le Chaos), composé à 4 mains par deux auteurs emblématiques de la scène française à l’époque de Louis XV, Michel-Richard de Lalande et André Cardinal Destouches, sur un livret de Pierre-Charles Roy. Créée en 1721 aux Tuileries avec la participation à la danse du tout jeune Louis XV, puis reprise avec quelques modifications en 1725, l’œuvre fut très appréciée et rejouée de nombreuses fois au cours du XVIIIe siècle et aura une influence très importante. L'élite aimait alors jouer les derniers "airs à la mode", extraits des grands opéras dans des salles plus intimes, petits théâtres royaux ou salons bourgeois. La partition était alors remaniée, les effectifs adaptés afin d’être en cohérence avec le lieu.
Ainsi proposé dans cet esprit, trois chanteurs interprètent à Sablé les différents personnages de l’œuvre : déesses et dieux, couples d’amoureux, bergers et bergères, et assurant également les parties de chœur. Ils sont accompagnés par un orchestre étoffé d'une dizaine de musiciens dirigés au clavecin par le chef lui-même, un nombre suffisant pour apporter les couleurs orchestrales nécessaires à l’évocation suggestive de ces divers éléments.
Bien projetée, la voix soprano d'Eugénie Lefebvre porte, d'abord dans les aigus. Elle a un léger vibrato, une prononciation nette avec des « r » légèrement roulés qui apporte une coloration subtile dans la déclamation. Elle déploie en outre une belle énergie et des attaques bien nettes, notamment dans le prologue où elle incarne le personnage de Vénus. Par son interprétation un peu sévère, elle adhère aux paroles et incarne une déesse davantage dans la discorde que dans le charme. Par la suite, les aigus sont cependant parfois serrés et moins maîtrisés comme dans son air de Leucosie (Acte I, l’eau). Dans son dernier air « Charmant amour, lancez tous vos traits dans mon âme », elle explore le registre aigu avec plus de fluidité et se révèle davantage par sa voix plus ronde et plus modulante.
Également soprano, Hasnaa Bennani possède un timbre clair, des aigus veloutés et une grande aisance pour vocaliser. Elle utilise le vibrato à bon escient, se dévoilant lorsqu’elle est seule, notamment dans son rôle d’Émilie (Acte II, le Feu) qu’elle interprète avec une voix nuancée, des ornements perlés, des da capo (reprise de la première partie de l’air) variés. Sa prestation est pleine d’émotion et de sensibilité. Elle dose également le volume sonore de sa voix lorsqu’elle est en duo avec Eugénie Lefebvre. Cependant, la compréhension du texte est par moment insuffisante.
Étienne Bazola affiche une voix de baryton à la large étendue. Ses graves sont profonds, ses aigus aisés et les vocalises fluides dès sa première apparition : « Coulez, ondes, coulez, volez, rapides feux » (Le Destin). Sa bonne diction, son souci de varier l’émission vocale selon les affects rendent le texte vivant et expressif. Réuni avec les deux chanteuses, ils apportent de la conviction dans leurs différents personnages, exercice difficile lorsqu’il s'agit ainsi de passer aussi vite d’un caractère à un autre !
Malgré quelques changements de dernière minute parmi les musiciens du pupitre des cordes, justifiés non sans humour par le chef en début de concert, l’orchestre est remarquable d’ingénuité et de musicalité, laissant apprécier dès les premières notes un continuo dynamique assuré au clavecin par Louis-Noël Bestion de Camboulas sur lequel s’appuient les différents musiciens. La grande diversité de timbres met en valeur tour à tour les différents musiciens. La fluidité des flûtes, la rondeur terrestre des hautbois et bassons, les percussions variées suggèrent avec réalisme tempête, tonnerre, vents, eau, nature. Les instrumentistes enchaînent ainsi avec une grande aisance les airs, duos, trios et plus particulièrement les danses parfaitement interprétées dans le respect des caractères et des tempi. L’orchestre est bien dosé, entre douceur de la musique de chambre et des effets orchestraux plus grandioses.
L’équilibre réussi entre musiciens et chanteurs permet ainsi à l’auditoire de tomber sous le charme de cette musique séduisante, interprétée avec raffinement et justesse. C’est donc avec enthousiasme que le public venu très nombreux dans la petite église de Meslay-du-Maine applaudit ce concert surprenant !