Envoûtantes voix célestes en la Cathédrale du Puy-en-Velay
La tradition anglicane et chorale est d'une influence capitale en Angleterre. Comme le présente Robert King lui-même, ponctuellement lors de la soirée et en anglais, la pratique chorale participe énormément à l’éducation musicale des jeunes anglais. L’Église anglicane a également toujours eu soif de musique et de commandes de nouvelles œuvres auprès de compositeurs. La tradition de la musique sacrée contemporaine se perpétue alors, grâce à cette dynamique religieuse, spirituelle et chorale. Cette musique polyphonique a cappella prend la forme de l’anthem, cousin du motet qui s’inspire autant des textes bibliques que des poèmes spirituels. C’est par ce genre, une musique de circonstance stylistiquement libre, que la musique britannique a su perpétuer une tradition forte tout en la modernisant.
C’est en l’imposante Cathédrale du Puy-en-Velay que le Festival de La Chaise-Dieu invite son public pour découvrir ces anthems par un ensemble spécialiste du genre, le Choir of The King's Consort. Les voix de la trentaine de choristes emplissent les voûtes de l’édifice par leur « Vox dicentis : Clama » (« Une voix dit : Proclame ! »), composition en double chœur d’Edward W. Naylor (1867-1934). L’ensemble y est remarquable d’homogénéité et fait preuve d’intentions aux dynamiques contrastées. La direction de Robert King est parfois sèche et droite (comme lors de l'ouverture du Festival), d’autres fois ample et souple, mais toujours précise. Les sublimes couleurs de la troisième et dernière partie « Sicut pastor gregem suum pascet » (« Comme un berger, il fait paître son troupeau ») instaurent particulièrement une atmosphère rassurante et paisible.
L’influence germanique fut forte pour certains compositeurs de la fin du XIXe siècle, notamment pour Charles Villiers Stanford (1852-1924) qui étudia en Allemagne et y découvrit l’œuvre de Johannes Brahms. Écrits lors de ses trajets entre Londres et l’université de Cambridge, ses Trois Motets latins trahissent cet héritage stylistique. Le son du chœur est toujours aussi confortable, formant comme une bulle de son portée par de beaux phrasés, sacrifiant ainsi la précision de la diction. Herbert N. Howells (1892-1983) est inconnu en France mais l’est beaucoup moins outre-Manche, ayant fortement participé à la recherche d’un langage harmonique impressionniste. Dans son I heard a voice from heaven (« J’entendis une voix du ciel »), les couleurs harmoniques sont effectivement saisissantes, certaines dissonances chatouillant agréablement l’oreille.
William T. Walton (1902-1983) est davantage connu en France, notamment pour son œuvre symphonique et ses concerti. A l'occasion d'un mariage d’amis, il composa la touchante et profonde chanson d’amour Set me as a Seal upon thine Heart (« Mets-moi comme un sceau sur ton cœur »). En hommage au compositeur et chef d’orchestre Henry Wood, Fondateur du festival des BBC Proms, disparu en 1944, il écrit une envoûtante louange à la Musique avec Where does the uttered music go? (« Où s’en va toute la Musique prononcée ? »). L’œuvre suivante, Faire is the heaven de William Harris (1883-1973), fait entrevoir les belles couleurs du Paradis, deux chœurs s’y répondant en écho. On peut y apprécier, tout comme dans les autres interprétations, le soin tout particulier porté aux notes finales, longues et douces.
La seconde partie de concert débute avec le célèbre et bel Hymn to St. Cecilia, dédié à la patronne des musiciens, composé par Benjamin Britten (1913-1976). Les voix du chœur sont toutes très belles et les atmosphères créées le sont tout autant. Cependant, il manque des consonnes pour que les jeux vocaux gagnent en pétillant et permettent une idéale compréhension de cette musique aux abords simples mais pourtant complexe. Saluons toutefois les interventions des solistes, toutes très belles. Un même texte pouvant inspirer deux compositeurs, les King’s proposent de mettre en parallèle la version enchanteresse de Drop, drop, slow tears (« Gouttez, gouttez, lentes larmes ») de Thomas H. Jones (né en 1984) et celle plus éplorée de Kenneth Leighton (1929-1988). C’est dans le même esprit de comparaison bienveillante que se découvre I heard a voice from heaven dans la touchante et très jolie version de Stanford, introduite par la soprano soliste à la voix céleste. Après une vision colorée du Paradis avec Bring us, O Lord God (« Amène-nous, Ô Seigneur Dieu ») de Harris, le concert se termine par une œuvre toute particulière, remplie d’une sincérité et d’une profondeur qui ne peut laisser indifférent : Take him, Earth, for cherishing (« Prends-le, ô terre, pour le chérir »). Ce motet fut composé pour la première commémoration de l’assassinat de John F. Kennedy, événement terrible qui coïncidait avec le tragique trentième anniversaire de la disparition du fils du compositeur. Robert King exagère sans doute un peu lorsqu’il présente cette courte œuvre comme « la plus dévastatrice du XXe siècle », mais l'indéniable somptuosité des couleurs harmoniques porte assurément le sublime texte du poète antique Prudence (348-410), entremêlant les voix avec un véritable délice. Le silence religieux qui suit l’accord final est assurément une marque de reconnaissance, précédant des applaudissements chaleureux et sincères.