Charmantes cantates pour ténor de Bach en Combrailles, par Reinoud van Mechelen et A Nocte Temporis
Si, dans les cantates de Jean-Sébastien Bach (1685-1750), la voix de ténor est souvent utilisée pour incarner l’Évangéliste, elle l’est également pour celle du pécheur, par l’expressivité émotionnelle qu’elle dégage. Toutefois, cette émotion doit être sincère, consciente du texte qu’elle porte, laissant humblement la musique agir, en raison de la perfection de l’écriture du maître allemand. Cette démarche, loin d’être évidente et facile, semble être pourtant bien celle de Reinoud van Mechelen et des sept musiciens d’A Nocte Temporis dans ce nouveau programme autour des cantates pour ténor solo de Bach.

Le concert débute par le Prélude en fa mineur, joué sur le majestueux orgue de l’église de Pontaumur – restitution fidèle de l’orgue d’Arnstadt où Bach officia de 1703 à 1706 –, par Marc Meisel. Cette sombre introduction presque tragique, dont on ne comprend malheureusement pas bien la direction par le manque de fluidité et de clarté, prépare l’auditeur à l’expressive lamentation du serviteur pécheur de la cantate Ich armer Mensch, ich Sünden knecht (Moi misérable humain, moi serviteur du péché). Par l’interprétation du texte investie, le phrasé de Reinoud van Mechelen semble naturel, aidé par une très bonne gestion du souffle. Les musiciens, également placés sur la tribune de l’orgue, jouent comme en musique de chambre, n’ayant pas besoin des gestes d’un chef pour leur insuffler la direction musicale, ce qui manifeste une préparation et une attention de qualité. La charmante et douce flûte d’Anna Besson introduit l’air « Erbame dich ! » (Aie pitié de moi !), prière désespérée et tendrement triste qui, par le timbre clair et les phrasés du ténor, ne manque pas de toucher le cœur de l’auditeur. C’est alors qu’en toute simplicité est chanté le choral final « Bin ich gleich von dir gewichen » (Á peine me suis-je écarté de toi), où l’espérance de la grâce rassure le malheureux pécheur. L’orgue conclut par la Fugue en fa mineur, dont l’élan joyeux fait malheureusement défaut. Bien que la technique du clavier et la proposition des registres paraissent très bonnes, Marc Meisel semble manquer d’assurance pour libérer son toucher et sa musicalité.
Longtemps attribué à Bach, on sait maintenant que la cantate Meine Seele rühmt und preist! (Mon âme glorifie et loue la grâce de Dieu) est l’œuvre de Georg Melchior Hoffmann (1679-1715), compositeur qui dirige le Collegium Musicum de Leipzig de 1704 à 1714, quinze ans avant Bach. Le trio hautbois, flûte et violon, instaure le sentiment d’un bonheur simple, naturel, réel. Reinoud van Mechelen y contribue, particulièrement grâce à ses très belles notes soutenues, nourries et excellemment gérées. Le chant du récitatif est une tendre déclaration d’amour à Dieu. L’atmosphère d’un bonheur authentique se poursuit jusqu’au dernier air « Deine Güte, dein Erbarmen » (Ta bonté, ta miséricorde).
Les musiciens interprètent l’apaisant mais non moins vivant Adagio de l’Oratorio de Pâques, pour terminer la soirée avec la magnifique cantate « Ich habe genug » (Je suis comblé). L’introduction fait de nouveau entendre un superbe solo de flûte. Exceptionnellement, l’intonation du ténor n'est ici pas parfaite, tout comme sa justesse d’interprétation, semblant plus triste que comblé. Il lui manque ici dans la voix une lumière, comme le serait un sourire sur un visage mais, par la gestion du souffle des fins ornements, l’auditeur le lui pardonne volontiers. La prière du soir, ou plutôt d’adieu, « Schlummert ein, ihr matten Augen » (Endormez-vous, mes yeux si las), où le ténor chante sa fatigue du monde et son espérance du repos céleste, est certainement un avant-goût de cet Eden. C’est pourquoi, malgré les terribles paroles de l’air final « Ich freue mich auf meinen Tod » (Je me réjouis de ma mort), la cantate se termine avec une joyeuse tendresse.
Malgré les rappels chaleureux du public, A Nocte Temporis et Reinoud van Mechelen n’offrent qu’un seul bis : un très bel extrait du Trauer-Ode. Ce cadeau, volontaire ou non, est un avant-goût de la Passion selon Saint-Marc, pastiche de cette œuvre qui est représentée le lendemain au même endroit.
