À Vichy, le Barbier de Séville enfile le bleu de travail
Après avoir été programmée à Compiègne, Abbeville, ou encore au Festival de Saint-Céré l'an dernier, cette production du Barbier de Séville de Rossini arrive à Vichy en plein cœur du tout nouveau Festival d'été de la ville thermale. Et elle y apporte l'élan de fraîcheur logiquement attendu de la part de cet opéra bouffe. Avant même le lever de rideau et les premières notes de l'ouverture, le ton est déjà donné. Un grand panneau publicitaire lumineux annonce le lieu de l'action mise en scène par Pierre Thirion-Vallet (directeur du Centre lyrique Clermont-Auvergne): ce sera la boutique « Rosinex ».
On s'attend alors à voir apparaître un bric à brac d'objets ménagers en tout genre, et l'on n'est pas déçu : dans un décor de Franck Aracil que l'époque contemporaine qualifierait volontiers de « scandinave », Pierre Thirion-Vallet propose une mise en scène estampillée « années 50 », où sont disposés sur diverses étagères des sèches-cheveux, fers à repasser et autres lave-linge composant le parfait attirail de la ménagère du milieu du siècle dernier. Côté costumes (signés Véronique Henriot), les hommes sont en bleu de travail, à commencer par Figaro. Rosina, dont la chambre est figurée par un gigantesque poste de télévision, arbore (façon speakerine) une robe blanche et rouge au motif Vichy, évidemment.
Une plongée dans les “fifties”
En comte Almaviva, qui se fait passer pour le modeste Lindor puis pour un maître de chant afin de déclarer sa flamme à la belle Rosina, le ténor Peter Kirk livre une prestation pleine de dynamisme. C'est surtout vrai scéniquement, où le jeune chanteur anglais montre qu'il est un acteur investi, usant d'une gestuelle très expressive afin de séduire Rosina (même si le déhanché vire parfois à l'obsession). Vocalement, le timbre présente un caractère sémillant, notamment dans le medium. Les aigus, en fin d'airs, sont en revanche peu maîtrisés et souvent écourtés, laissant l'audience sur sa faim.
Figaro est campé par un Viktor Korotych pleinement convaincant. Le baryton ukraininen, qui était déjà à l'affiche de la création de cette production, met en lumière une présence vocale fort charismatique. Le timbre est vibrant à souhait, le medium fringant et les aigus agréablement projetés. Son “Largo al factotum” est parfaitement maîtrisé. Scéniquement, avec un jeu tout en humour et finauderie, le lauréat du concours de chant de Clermont-Ferrand en 2015 affiche une agréable complicité avec le Comte.
Un Bartolo qui en impose
Leonardo Galeazzi est un solide Bartolo. En maître de la maison “Rosinex” souvent dépassé par les événements, le baryton italien sait se montrer autoritaire (avec Rosina) et malotru (avec Berthe, la servante). Mais, rattrapé par les démons de sa propre naïveté, il ne cesse jamais de passer pour sympathique. Vocalement, tout fonctionne aussi, avec une voix chaude, vibrante et habilement projetée. En Don Basilio, Federico Benetti est également convaincant. Avec ses habits de curé (cachant de hautes chaussettes roses), la basse italienne est pleine d'allant dans son rôle, et décline une ligne de chant sans fioritures sur l'étendue d'une large tessiture, avec des graves bien arrondis. Comme entre Figaro et Almaviva, la complicité vocale et scénique entre Bartolo et Basilio est remarquable, elle aussi.
Rompue au rôle malgré son jeune âge, Eduarda Melo est une fraîche et pétillante Rosina, particulièrement à l'aise dans l'expression d'aigus ne manquant pas de relief (dommage toutefois pour la projection que la mise en scène la confine, durant une bonne partie du spectacle, dans sa chambre-téléviseur située en fond de scène). La soprano portugaise récolte des applaudissements mérités dans son “Una voce poco fa”, plein de maîtrise et d'allant. Applaudissements aussi pour la Berthe de la soprano Anne Derouard, au jeu de scène engagé et facétieux, et au timbre de voix plein de profondeur.
Dans la fosse de la salle vichyssoise, quelques jours après Pierre Dumoussaud dirigeant un formidable Werther de concert (dont nous vous avons partagé notre compte-rendu), place est de nouveau faite à un jeune chef. Et Raphael Merlin s'en sort avec une excellente mention. A la tête de l'ensemble de chambristes des Forces Majeures, familier de l'univers rossinien (le disque Une Vie de Rossini, enregistré en 2016 chez Aparté avec Karine Deshayes, en fait foi), le chef donne toute l'énergie et la fougue qu'appelle l'esprit de l'oeuvre, des premières notes de l'ouverture jusqu'au baisser de rideau final. Energie un peu excessive, parfois, et l'on regrette notamment à l'acte I que l'orchestre, dans ses passages fortissimo, ne couvre un peu trop les voix (surtout lorsque celles-ci affichent un déficit de projection, comme celle du Comte). Un point faible qui devient un véritable atout lorsque l'orchestre doit accompagner tous les solistes ainsi que les six membres du chœur : à la fin de l'acte I comme dans le tutti final, la fusion de toutes les parties musicales est pleine d'allant et entraîne l'audience dans un tourbillon musical pas loin d'être étourdissant. De plaisir, il va sans dire.