Histoire d'Apaches à Montpellier avec Ambroisine Bré
Une ambiance de salon au Corum de Montpellier. La Douce France (thématique annuelle du Festival) se fait fantasque avec un récital dédié aux Apaches, groupe d’amis artistes (écrivains, musiciens, peintres, poètes) qui rassemble Tristan Klingsor, Léon-Paul Fargue, Ricardo Viñes et Maurice Delage autour de la figure de Maurice Ravel (proclamé chef de l'Apachie par ses amis). Ces compositeurs se retrouvent régulièrement et échangent dans une atmosphère propice à l’émulation artistique et à la création (ces derniers soutiennent ainsi la création de Pelléas et Mélisande de Claude Debussy en 1902 face aux critiques houleuses dont l'ouvrage est l’objet). Instrument souverain, le piano suscite alors un vif intérêt, accompagnateur privilégié de la voix dans ce genre typiquement français qu’est la mélodie. Dans une atmosphère intimiste (que corrobore une Salle Pasteur à moitié vide), Ambroisine Bré (Révélation classique de l'ADAMI 2017 ayant récemment participé à la soirée Musiques en fête aux Chorégies d'Orange) et Romain Descharmes offrent un panorama vocal et pianistique des compositions des Apaches, programme ciselé par les interventions régulières de François Castang, soutien narratif par lequel le conteur tisse une histoire du groupe de sa genèse à son déclin et contextualise les pièces interprétées en s'appuyant sur de savoureux témoignages.
Les deux interprètes ouvrent le récital dans l’Orient fantasmé (au programme la veille avec Adèle Charvet) avec Asie, extrait de Shéhérazade de Maurice Ravel (interprété un peu plus tôt par Marianne Crébassa et composé d'un poème de Tristan Klingsor, autre membre de l'Apachie). Pour sa première venue au Festival, la mezzo-soprano dompte instantanément l’espace par un long crescendo, montrant dès les premiers instants une voix ample et projetant avec aisance. Très vibrée, elle se fait rapidement incandescente, les « r », bien roulés et légèrement appuyés, paraissant comme autant de petites flammèches attisant des volutes sonores aiguisées. Veloutée et ronde dans les médiums, elle se tend en des aigus cuivrés (le contre-si bémol au climax de la tension, saillant, tiré et poitriné) qui s’arbore d’une couleur de sopraniste en des notes légères et frétillantes (« Je voudrais voir la Perse et l'Inde et puis la Chine »), s’élevant diaphanes en voix de tête. L’ouvrage flatte une articulation travaillée dans l’ensemble (alliée à un appréciable détachement de la partition), qui tend toutefois à perdre légèrement en clarté dans des aigus passionnés. Et au Rêve ravélien (écrit sur un texte de Léon Paul Fargues) plein d’une sonorité large, répondent les trois rares mélodies de Maurice Delage où se joignent glissandi plaintifs et épanchés (Améthystes) et une « blancheur » (Du Livre de Monelle) pure et détimbrée.
À ses côtés, Romain Descharmes déploie un jeu pianistique franc et précis. Il se montre particulièrement redoutable dans les passages percussifs, fantasques et extravagants (premier mouvement de la Sonatine viennoise de Tristan Klingsor) où, par des gestes millimétrés et une utilisation parcimonieuse de la pédale, il déploie accords staccati, appoggiatures légères et mélodies dont il souligne les audacieuses dissonances. Dans Une barque sur l’océan (ouvrage extrait des Miroirs dont chaque pièce est par ailleurs dédiée à l'un des musiciens des Apaches), il montre un jeu délicat qui perd toutefois en rigueur, marqué par certain rubato (qui dessert au début de l'ouvrage l’évocation de la stabilité inaltérable et tranquille de l’océan) et de quelques fausses notes au milieu du déluge d'arpèges auquel il est soumis, le pianiste partagé entre la partition et le clavier.
Après des pianissimi miroitants, s'évaporant en un ultime accord caressé dans les aigus, le conteur intervient pour une brève sentence "le groupe ne survécut pas à la guerre 1914-1918", signifiant par la même occasion la fin du concert.