Éclat, gloire et victoire française à Beaune autour du Te Deum de Charpentier
Marc-Antoine Charpentier (1643-1704) n’a jamais été au cœur de la très officielle et politique Musique du Roi. Toutefois, ses diverses fonctions l’ont amené à composer des œuvres de circonstances, célébrant des grandes figures religieuses ou politiques. Ce sont quelques-unes de ces œuvres majestueuses que le charismatique chef Hervé Niquet et ses ensembles du Concert Spirituel proposent en ce jour de Fête nationale, en la belle Basilique Notre-Dame de Beaune.
Le concert débute par l’Ouverture du Malade Imaginaire, comédie-ballet de Molière créée au Théâtre du Palais-Royal en 1673 puis devant la Cour en juillet de l’année suivante pour célébrer la reconquête de la Franche-Comté par Louis XIV. Après trente ans auprès de leur chef, les musiciens du Concert Spirituel répondent au moindre de ses gestes et leur jeu est à l’image de sa direction : animée, élancée, parfois très ample, parfois très droite, toujours très musicienne. Hervé Niquet se déplace parfois sur l’avant-scène ou autour de son pupitre, non pas dans une volonté spectaculaire ou extravagante mais en manifestant une expressivité vivante et authentique.
À peine la dernière note jouée, le chef se retourne soudainement et, avec son humour et sa personnalité unique, emmène son auditoire chez la Duchesse de Guise, protectrice de Charpentier dès 1670. C’est pourtant au service des jésuites, en tant que maître de musique de l’église Saint-Louis, qu’il composa In Honorem Sancti Ludovici regis Galliae canticum pour le 25 août 1698. Comme l’explicite son intitulé, ce canticum (équivalent français de l’oratorio, proche du motet) célèbre Louis IX, dit Saint-Louis. Positionné derrière l’orchestre, la basse-taille (équivalent ancien s'apparentant au baryton avec des graves, ou basse chantante) Jean-Christophe Lanièce (également à l'affiche de Bohème, notre jeunesse à l'Opéra Comique) semble manquer de puissance pour lutter contre le son du violoncelle qui résonne aisément dans l’acoustique de la Basilique –au risque même de paraître s’y noyer. Heureusement, le basson le rejoint dans les tutti, rajoutant en précision d’attaque tout en gardant la rondeur des cordes du violoncelle. L’équilibre est plus facile pour le dessus (soprano) Chantal Santon-Jeffery, aux aigus aériens. La direction de phrasés étant vraisemblablement bien communiquée par Niquet, l’Orchestre et Chœur du Concert Spirituel font preuve d’une belle homogénéité.
Figure centrale pour les jésuites, la Vierge Marie a également le droit à son motet, offert à l’occasion de la fête de l’Assomption du 15 août 1690, In Assumptione Beatae Mariae Virginis. La belle introduction est l’occasion d’apprécier le phrasé et le geste baroques des violons, élégamment emmenés par le premier d'entre eux, Olivier Briand. Malgré les très jolies couleurs et harmonies, notamment de la partie « Quae ascendit sicut aurora consurgens ? » (« Qui est celle qui monte comme l’aurore ? »), l’ensemble ne paraît pas toujours assuré (quelques hésitations chez les femmes du chœur étant peut-être dues aux dessins géométriques tracés par Hervé Niquet). L'autre voix de dessus émise par Julia Beaumier ne paraît pas non plus très à l’aise dans ses lignes mélodiques et ses ornements, avec quelques difficultés dans l'intelligibilité du geste musical.
Suit In Honorem sancti Xaverii Canticum en l'honneur de Saint François Xavier, missionnaire cofondateur de l’ordre de la Compagnie de Jésus. Dans cette œuvre étincelante et glorieuse, les jeunes solistes sont davantage mis en valeur. Chantal Santon-Jeffery communique agréablement par sa voix, mais le ferait assurément davantage auprès du public si elle se détachait de sa partition. Julia Beaumier est ici bien plus assurée, avec un timbre agréablement velouté. Accompagnés de l’orgue positif et des discrets théorbes, les voix masculines sont maintenant également davantage à leur aise. Voix masculine aiguë, Clément Debieuvre, haute-contre, conte avec un placement de voix qui mériterait de s’affirmer davantage. Enfin, la taille (voix principalement située entre ténor et baryton) François Joron fait entendre un timbre agréable, suffisamment projeté.
Pour la deuxième partie de soirée, Hervé Niquet, à peine monté sur scène, démarre en trombe les Marches pour les trompettes, enchaînant sur le Te Deum. Certes, les musicologues ne sont pas tous d’accord quant à l’origine de ces œuvres triomphales : certains datent ce grand motet versaillais de 1687, rendant grâce à Dieu du rétablissement de la santé du Roi, d’autres ne se fient qu'à la date du plus ancien manuscrit autographe connu, 1692, à l’occasion de la victoire de Steinkerque. Quoi qu’il en soit, le Te Deum est indéniablement un puissant chant de louange à Dieu et au Roi. La célèbre introduction instrumentale est interprétée avec rapidité et énergie, d’un caractère absolument victorieux. La direction engagée d’Hervé Niquet en est même littéralement renversante, quitte à sacrifier le pupitre du bassoniste. Tous semblent ici en pleine assurance. La basse-taille Jean-Christophe Lanièce est bien plus présente et fait entendre sa voix impérieuse. Chantal Santon-Jeffery, joliment accompagnée des deux flûtes à bec, interprète un doux et clair « Te ergo quaesumus, tuis famulis subveni » (« Daigne donc, Seigneur, venir en aide à tes serviteurs »). Le Concert Spirituel est éclatant, les femmes du chœur faisant notamment entendre des vocalises réussies.
C’est évidemment avec encore plus d’audace et de plaisir partagé qu'Hervé Niquet et ses ensembles reprennent en bis, avec davantage de vitesse et de contrastes, le victorieux final « In te, Domine, speravi » (« En toi, Seigneur, j’ai mis mon espérance »). Une façon d’offrir au public du Festival International d'Opéra Baroque et Romantique de Beaune un joyeux feu d’artifice musical !