La Création de Haydn au Festival de Beaune : Et la musique fut !
Lors de ses séjours à Londres, entre 1791 et 1795, Joseph Haydn (1732-1809) découvre les grands oratorios de Georg Friedrich Haendel (1685-1758). Impressionné par la force musicale et spirituelle de ces œuvres, Haydn veut à son tour créer des fresques monumentales glorifiant le Créateur pour lequel il a tant de dévotion. C’est l’organisateur des concerts de Haydn en Angleterre, Johann Peter Salomon, qui lui présente le poème Creation of the world – dont l’auteur est inconnu mais qui s’inspire de la Genèse, des Psaumes et du poème épique de John Milton, Paradise Lost (1667) –, initialement destiné à Haendel qui l’avait abandonné. Confié au Préfet de la Bibliothèque impériale de Vienne, le très mélomane baron van Swieten, le poème est adapté et traduit en allemand. Après une création en avant-première pour les nobles membres de la Société des associés le 30 avril 1798 au palais Schwarzenberg, l’oratorio est présenté au public le 19 mars 1799 au Burgtheater de Vienne. Parce que motivé par sa foi et persuadé de l’impact durable de son œuvre, Haydn n’aura jamais autant consacré de temps et d’énergie – à s’en rendre d’ailleurs véritablement malade. L’expressivité de ses récitatifs, l’étonnante figuration instrumentale les commentant, la majesté des chœurs, la virtuosité des fugues et la profonde déclaration d’amour finale d’Adam et Ève sont les ingrédients d’une œuvre qui, depuis sa création, ne cesse d’émerveiller.
Maintenant habituée au Festival International d'Opéra Baroque et Romantique de Beaune, Laurence Equilbey et ses ensembles, le chœur accentus et l'Insula orchestra, font étape en la Basilique Notre-Dame pour interpréter La Création en version de concert. Une version mise en scène par le collectif La Fura dels Baus existe certes (nous vous en rendions compte à La Seine Musicale), la version purement musicale impressionne pourtant davantage. À commencer ici par les trois solistes.
Dès sa première intervention, le baryton-basse autrichien Thomas Tatzl, qui interprète l’ange Raphaël et Adam, est d’une présence quasi-hypnotique, tant par ses regards communicatifs et sa gestuelle sincèrement expressive que par sa voix impérieuse, son interprétation ciselée du texte et des graves joliment sombres, malgré l’extrême tessiture. L’ange Uriel est chanté avec beaucoup de sérieux par la puissante et noble voix du ténor Robin Tritschler. Si parfois ses lèvres semblent ne pas bouger afin de créer des phrasés d’une splendide direction musicale – notamment dans son récitatif « Aus Rosenwolken bricht » (« Le matin dans les nuages roses » – partie III) –, sa diction reste toujours impressionnante de clarté. L’ange Gabriel de la soprano Christina Landshamer ne paraît pas aussi assuré que ses collègues. Les aigus restent agréables bien que le timbre semble manquer d’homogénéité, ce que confirment les vocalises dont on sent la maîtrise avant la fluidité. Ses regards souvent fuyants ne sont pas non plus gage d’assurance, ne pouvant pas transmettre véritablement le sens de ses airs. Son interprétation d’Ève est plus convaincante, certainement agréablement emportée par le tendre duo avec son Adam. Laissant échapper un petit toussotement avant le chœur final avec solistes, la soprano est peut-être gênée par une gorge un peu fatiguée.
Laurence Equilbey est ferme, se montrant parfois autoritaire, parfois caressante, toujours efficace et attentive aux courbes mélodiques de chacun. Sous sa direction, l’Insula Orchestra entremêle avec délice les incroyables harmonies de l’introduction de la première partie « La représentation du Chaos », dont on attend terriblement la résolution qui n’apparaît que lorsque le chœur triomphe : « Es werde Licht ! » (« Que la lumière soit ! »). Ce premier impressionnant choral est particulièrement soigné et travaillé par le Chœur Accentus : sans partition, très attentifs aux moindres gestes de leur cheffe, les artistes du chœur font preuve de couleurs saisissantes, du pianissimo au fortissimo. Si quelques femmes gardent cette extrême attention en n’ayant aucunement besoin de leur partition, il est toutefois dommage que certains hommes se cachent souvent derrière la leur. On peut également regretter que l’on ne puisse pas toujours bien comprendre leur texte, mais leurs belles homogénéité et énergie sont des qualités que l’on sait néanmoins apprécier. On apprécie également le parfait équilibre de l’orchestre avec le chœur et surtout avec les solistes, les musiciens sachant parfaitement, grâce notamment à la vigilance de Laurence Equilbey, produire des couleurs qui les mettent en valeur. On retiendra la puissance et la majesté des fugues, jouissives par leur tempo rapide, au détriment peut-être de la minutie architecturale de ces véritables prouesses d’écriture. Au-delà de la technique instrumentale et de l’interprétation, tous manifestent un réel plaisir ; le spectateur ne peut qu’être témoin des échanges heureux et complices, par exemple des chefs d’attaques des violons ou des contrebassistes avec le timbalier.
C’est ainsi que l’auditeur s’en va de même heureux d’avoir pu entendre cette sublime et glorieuse musique dans une version interprétée avec le soin et l’investissement dont elle mérite.