Récital à Garnier : Angela Gheorghiu est toujours une grande !
Un petit épisode baroque (plus ou moins tardif) pour commencer avec deux jolis moments : Tre giorni son che Nina de Giovanni Battista Pergolesi (1710-1736) et Le Grillon de Jean-Philippe Rameau (1683-1764), qui constituent deux leçons de chant : chaque mot est assumé comme un enjeu de représentation et le sens théâtral dont fait montre constamment Angela Gheorghiu force le respect et parvient à rendre intéressantes ces deux petites pièces. La soprano roumaine possède une vraie belle voix, large, sombre, avec une richesse de timbre qui lui permet mille couleurs et une science de la gestion dynamique qui lui permet mille nuances. Pour chanter il faut certes une voix, mais aussi un esprit et du cœur. Elle en est triplement dotée, avec de surcroît un instinct du phrasé qui la rend captivante même dans des œuvrettes comme Plaisir d’amour (Giovanni Battista Martini, 1706-1784), ou bien l’improbable Tristesse de Frédéric Chopin (1810-1849).
Angela Gheorghiu donnait le même programme en mars dernier à Vienne :
Un beau lyrisme se déploie dans la Nuit d’étoiles de Claude Debussy (1862-1918), et dans les mélodies de Sergueï Rachmaninov (en particulier Zdes’ kharasho et Vesenniye vody), elle déploie en plus d'une longue tessiture, toute une gamme dynamique (du fortississimo au piano, déclinée en un trésor de nuances), de l’évocation mélancolique aux élans du rugissement des eaux, dignes d’un grand opéra ! Alexandru Petrovici (baryton et chef d’orchestre par ailleurs) est un accompagnateur idéal, attentionné et toujours en soutien efficace, mais son exécution du Prélude op.3 n°2, Rachmaninov toujours, le montre plus percussif que puissant. Le premier mouvement de la Sonate « au clair de lune » de Beethoven (1770-1827) le montrera plus inspiré.
La partie bel canto est magistrale. Surtout dans Vaga luna de Vincenzo Bellini (1801-1835) où le timbre se fait argentin, et où la mélancolie du monde se répand sur le fil de la voix. Impressionnante d’expressivité et d’engagement vocal dans Nebbie d’Ottorino Respighi (1879-1936), Angela Gheorghiu file quasiment Ideale de Francesco Paolo Tosti (1846-1916), exprimant là aussi magistralement la nostalgie et l’attente du retour de l’aimé, sur un pianississimo magique. Le récital se poursuit avec de sympathiques petites pièces populaires roumaines arrangées par George Stephanescu (1843-1925) et Tiberiu Brediceanu (1877-1968). Il se conclut sur le charmant Bohemian Girl de Michael William Balfe (1808-1870).
Sous un déluge d’applaudissements (et une standing ovation), Angela Gheorghiu donne trois bis : un voluptueux Je te veux d’Erik Satie (1866-1925), O mio babbino caro (Giacomo Puccini, 1858-1924, tiré de Gianni Schicchi) anthologique, de beauté vocale, de frémissement et de candeur juvéniles, enfin Because you came to me… (Perry Como) qu'elle annonce « Because I love this song ! »