Processions dans les Tenebrae en la Basilique de Saint-Denis : où donner de la tête ?
Le spectateur entrant dans la Basilique de Saint-Denis, après avoir comme chaque fois pris le temps d'admirer ce lieu unique, est assurément étonné de voir la disposition du public : les deux rangs de cinq lignes se font face, de part et d'autre de l'allée centrale. Le public n'est donc ni face à l'autel, ni face à l'estrade installée à l'entrée. Cela est fort regrettable car ce sont précisément à ces endroits que chanteront les artistes ! Le concert est intitulé "Processions" mais le chœur ne fait que trois trajets, juste le temps de marcher de l'estrade vers l'autel, et d'effectuer plus tard un autre aller-retour. Plusieurs choix s'offrent donc au public, ou plutôt, après avoir inévitablement abandonné l'idée de regarder les chanteurs (ce qui demande systématiquement une torsion cervicale à angle droit), le spectateur décide de se faire auditeur, d'écouter seulement, mais force est de constater que le concert n'a pas été conçu ainsi. Le simple fait qu'il soit capté et diffusé en direct par des caméras exige des lumières et interdit de fait de plonger par exemple la Basilique dans le noir, ce qui aurait fort bien convenu à la musique tout en invitant le public à la méditation. Des spatialisations auraient également été pertinentes (les rares moments durant lesquels un choriste ou un quatuor s'éloigne du groupe offrant déjà des perspectives sonores). Des fauteuils tournants auraient même pu être envisagés...
Cela est d'autant plus regrettable que le public ne reçoit ainsi de cet ensemble musical exceptionnel qu'une perception lointaine et monophonique (le spectateur est toujours loin d'un son qui ne lui arrive que d'un seul côté, les quelques instants durant lesquels les femmes devant l'autel n'ont pas encore rejoint les hommes sur l'estrade proposent certes de la stéréophonie, mais même de si bons artistes sont bien trop loin pour pouvoir chanter ensemble). Le programme était pourtant supérieurement construit et interprété. Le chœur mixte Tenebrae dirigé (et fondé en 2001) par Nigel Short (ancien des King's Singers) met en regard le célébrissime Miserere (1638) d'Allegri avec Path of Miracles (2005), une commande effectuée par Tenebrae à Joby Talbot et qui rend un sublime hommage au Pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. Path of Miracles (Chemin de Miracles) est composé de quatre mouvements, chacun dédié à l'une des principales villes-étapes du périple : Roncesvalles, Burgos, León et Santiago. Rendant compte du brassage international du Chemin, le texte (de Robert Dickinson) entremêle grec, latin, français, espagnol, anglais, basque et allemand. La musique incorpore même des traditions du peuple aborigène Bunun de Taïwan, qui rencontre du chant grégorien, des mystiques castillanes aussi bien que des mélodies originales et immédiatement séduisantes.
Le Miserere d'Allegri aura servi de Prélude, de point de départ rappelant les racines musicales de cette spiritualité chrétienne mais permettant aussi au chœur de déployer l'étendue de son ambitus (les basses ne sont pas des plus graves, mais elles compensent par la rondeur du gosier, les sopranos frôlent le suraigu exigé, mais sans tension néanmoins). C'est toutefois véritablement avec Path of Miracles que le chœur se chauffe (le début est composé de vrombissements, montant en hauteur de notes, volume et durée). Le spectre vocal ainsi mis en éveil, les harmonies se déploient et commencent à caresser les arches de l'édifice, les accents se placent, mais toujours lointains. La faute encore à une disposition qui aura toutefois, indéniablement offert une belle image finale : celle d'un couple chantant, cheminant vers l'autel, des mariés unis par la beauté musicale.