Récital du duo Contraste dans le sillon des campagnes Napoléoniennes
Ces deux musiciens se sont rencontrés au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris dans la classe de Lied et Mélodie d’Anne Le Bozec et Emmanuel Olivier. Leur passion commune pour le Lied et la mélodie ainsi qu’un désir de découverte de nouveaux répertoires les conduisent aujourd’hui à se produire sur les scènes du monde entier. Les deux artistes entament leur pérégrination avec une énergie redoutable en interprétant deux mélodies de Berlioz : Élégie et Le spectre de la rose sur un poème de Théophile Gautier extrait des Nuits d’été. Ces mélodies montrent à quel point le compositeur est attentif aux intentions poétiques pouvant être figurées musicalement et à quel point celles-ci conviennent aux interprètes. Chaque émotion, chaque mot est transmis par la voix richement timbrée du ténor et le jeu lyrique du pianiste.
Légitimant ce programme, les propos de Napoléon témoignent de son grand intérêt pour la musique : « De tous les beaux-arts, la musique est celui qui a le plus d’influence sur les passions, celui que le législateur doit le plus encourager ». De la stratégie militaire à la stratégie amoureuse, le duo Contraste propose un répertoire de mélodies, romances et Lieder au fil des campagnes napoléoniennes. Napoléon aimait à chanter, un peu faux semble-t-il, les airs révolutionnaires et, Étienne-Nicolas Méhul (Le Chant du départ) était certainement son compositeur français préféré.
Sa campagne d’Égypte est ici évoquée par deux romances de Félicien David : L’Égyptienne et Le jour des morts. Ce dernier, converti aux doctrines de Saint-Simon décide de prêcher les chants saint-simoniens en Orient au cours d’un voyage qui le mène au Caire et à Alexandrie. Composées à son retour à Paris, ces romances connurent un certain succès. Comme les artistes de ce soir, dont l’engagement ne faiblit jamais : le pianiste impose une intensité dramatique et, sur le refrain « Non j’aime trop Le Caire » aux aigus soudains projetés, le ténor rayonne. Sa diction est impeccable, tous les mots étant émis précisément jusqu’aux délicats grasseyements des R (« Prrrrions pourrr eux »).
En dédiant sa Troisième Symphonie Eroica à Napoléon, Beethoven célèbre les idéaux révolutionnaires : la puissance de l’esprit, qui, guidée par la Liberté, combat un système oppresseur et parvient à changer le cours de l’histoire. Du champ de bataille aux salons, le seuil est franchi avec Adelaïde. Le ténor, dans un beau sourire, se délecte à prononcer le prénom de cette femme idéalisée et inaccessible. La voix mixte ainsi que la longueur donnée aux consonnes nasales convoquent une grande suavité. L’errance du voyageur de Winterreise (Voyage d’hiver) de Schubert pourrait être celle du soldat ayant quitté sa terre et sa bien-aimée, parcourant des steppes hostiles (campagne de Russie). Les marches forcées imposées aboutissent parfois à des victoires (campagnes de Prusse et de Pologne), mais aussi à la mort que de nombreux soldats trouveront au bout du chemin.
La première personne du singulier utilisée par les poèmes du cycle convient parfaitement à l’incarnation musicale et physique de Cyrille Dubois. L’interprétation très contrastée et démonstrative transforme les quatre Lieder extraits du cycle (Erstarrung, Lindenbaum, Auf dem Flusse et Frühlingstraum) en quatre miniatures scéniques d’une grande intensité. Dans un désir de communiquer l’émotion, le corps du chanteur est en perpétuel mouvement : accroché au pupitre, le corps et le visage tendus vers la salle, les genoux fléchis dans une posture de repli, se hissant sur la pointe des pieds aux moments culminants des phrases. Aucun mot n’est laissé au hasard et les consonnes sont articulées consciencieusement. Les nuances sont extrêmement contrastées avec des changements d’émission soudains. Sa voix pleine terriblement accrochée dans le masque peut être très puissante surtout lorsqu’il atteint l’aigu de son registre. Pour plus de douceur il en appelle à la voix mixte dans une grande homogénéité. Seuls les graves paraissent fragiles, moins sonores. La fin opératique de Auf dem Flusse déclenche les applaudissements du public qui avait pourtant la consigne de ne pas intervenir avant la fin d’une campagne !
L’énergie des deux artistes s’intensifie pour Le Soldat et Les deux Grenadiers de Schumann. Le pianiste émet des bruits de souffle, le chanteur vit intensément les personnages des deux grenadiers français capturés lors de la campagne de Russie. À l’annonce de la défaite de l’Empereur, Schumann cite la Marseillaise. Dans la chaleur du salon des Invalides le ténor mouille sa chemise au sens propre comme au sens figuré.
La vocation militaire des conquêtes n’empêche pas Napoléon de profiter des richesses musicales d’une Europe effervescente. À La Scala de Milan, il découvre le Don Giovanni de Mozart ainsi que la prima donna Grasini avec qui il entretient une liaison discrète mais durable. Il fait venir à Paris Crescentini, l'un des derniers castrats d’Italie. Justement, les interprètes se mettent sur la route transalpine avec trois mélodies de Donizetti : E morta, Una furtiva lagrima et Ah Rammenta, o bella Irene. Ce répertoire est en parfaite adéquation avec les moyens vocaux du chanteur. L’interprète Rossinien apparaît dans toute sa splendeur.
La campagne de Russie, déjà évoquée dans les Lieder de Schumann, l’est à nouveau avec le choix de trois mélodies en russe de Mikhaïl Glinka : L’alouette, A Molly et Chant d’adieu, qui clôture le récital. L’évidence de la grande complicité des deux artistes émane de leur investissement musical et aussi du bonheur de le réaliser, comme en témoignent les regards et les grands sourires échangés.
On pourrait penser qu’à la fin de ce périple les artistes seraient un tant soit peu fatigués. Il n’en est rien. Sautant littéralement sur scène, ils interprètent deux bis : L’île inconnue de Berlioz (« Quand on revient de voyage on n’a qu’une idée : y retourner ») et Sérénade de Chausson. L’expression radieuse du ténor étant communicative, le public quitte le salon tout sourire.
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