Haendel à la fête avec le Duello amoroso de Stutzmann à Montpellier
Quelques tubes et quelques jolies trouvailles (airs et duos), extraits des opéras et des sinfonie ou extraits de concerti du compositeur allemand, devenu sujet anglais composant pour partie en italien, viennent composer ce concert, qui n’est ni une tragédie ni un pasticcio. Mais le programme lui-même, après justification, délivre l'auditeur du souci de cohérence dramatique, car : « le tout est un ravissant prétexte à faire entendre certaines des pages les plus inoubliables » de Georg Friedrich Haendel. Du coup aucun des airs n’y est décrit et aucun texte n’y est proposé ou traduit, ce qui simplifie les choses et ramène in fine cette entreprise à un très joli concert ! Avec néanmoins une esquisse de mise en scène (simple et efficace) pour articuler les propos.
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— Valerie Chevalier (@vchevalier) 4 juin 2018
L’Ensemble « Orfeo 55 » est à la manœuvre, sous la direction vigilante et efficace de Nathalie Stuzmann, qui est à l’évidence une très grande cheffe d’orchestre. Petite formation, avec une bonne section de cordes, des bois et des continuistes (clavecin et théorbe), Orfeo 55 est un ensemble désormais bien connu tant au concert qu'au disque (retrouvez notre compte-rendu de l'album Quella Fiamma). Le son plein de panache, franc, avec une grande précision et une belle énergie dans la conduction des phrases a un sens du contraste témoignant du souci de dramatiser cette musique. De fait, les passages purement instrumentaux ne sont pas simplement des moments faits pour que les chanteurs se reposent mais sont captivants à écouter, en particulier l’Adagio du Concerto grosso opus 6/64, qui touche ici au sublime ! Et lorsque les chanteurs entrent, ils ont alors un écrin de rêve pour les accompagner. Ces airs et duos sont des aria da capo au format ABA', à la base de l’opera seria italien du 18ème siècle : "A" expose le thème (joyeux ou triste), "B" apporte la contradiction (doute ou espoir) et "A’" réaffirme le thème initial, avec une ornementation ce soir très réussie dans tous les morceaux, réalisée sans excès ni afféteries, et toujours dans le caractère de l’air.
Camilla Tilling est une soprano américaine à la carrière bien engagée, dans des répertoires variés et sur les plus grandes scènes. Elle possède une jolie voix de soprano avec un timbre clair, une belle projection et une bonne étendue. Elle est ainsi parfaite dans « Torna mi a vagheggiar » (Alcina) où Morgana aspire à la séduction, avec ici de ravissantes variations dans la reprise, une articulation légère et primesautière de bon aloi. Elle est très touchante dans « Care selve » (Atalanta), une ariette typique chez Haendel où le personnage évoque son bonheur au travers de la belle nature accueillante, c’est une aria con motto (avec un début de mélodie esquissé puis repris et développé) dans laquelle Camilla Tilling trousse de bien jolis sons. Pour le tube absolu « Ah mio cor » (Alcina) en revanche, elle n’a pas tout à fait les moyens du rôle : il faudrait idéalement une voix plus large et plus corsée. Alcina trahie s’épanche dans une longue et sublime lamentation. Dans sa palette, Camilla propose néanmoins une interprétation qui rend compte des choses, faisant ressentir tout le désarroi de la magicienne par une incarnation du texte manifeste, soutenue en cela par un orchestre bouleversant lui-même.
Nathalie Stutzmann est une contralto qui s’impose comme cheffe d’orchestre au sein des phalanges les plus diverses et dans tous les répertoires lyriques. La voix est belle, pas très puissante, un peu intériorisée. Elle chante ici des rôles créés essentiellement par des castrats. Elle donne en particulier un merveilleux « E vivo ancora … Scherza infida » (récit et air d’Ariodante), autre "tube absolu", où la conscience de la trahison et le reproche sont puissamment incarnés, dans un temps distendu et intensément expressif. Subtile reprise de A’ et là aussi un tapis orchestral magistral, beau à pleurer. Dans l’aria « se fiera belva ha cinto » (Rodelinda), véhémente, la voix est en revanche un peu couverte malgré l'engagement interprétatif.
Divers duos ponctuent ce spectacle, dont le très beau « io t'abbraccio » (Rodelinda) où l’harmonie de l’amour réalisé se traduit par de beaux mélanges de voix. Le travail soigné des timbres préparés en amont parfait cette fusion, jusqu'au magnifique duo final « Caro… Bella… » (Giulio Cesare) qui prolonge cette belle soirée Haendel.