"Shakespeare et la musique" par l’Akademie für Alte Musik Berlin et Anna Prohaska au TCE
En ces jours de chaleur moite et étouffante, l’Ensemble Akademie für Alte Musik Berlin (Akamus) offre aux Parisiens une soirée rafraîchissante, admirablement construite autour de textes de William Shakespeare, et des compositeurs Henry Purcell, John Dowland et John Blow, qui s’en sont inspirés. Comme son nom l’indique, cet orchestre de chambre berlinois est spécialisé dans l’interprétation historiquement informée de la musique ancienne, et la sert avec brio, ici dans un récital qui associe avec finesse récitation théâtrale et musique. Dirigés par leur premier violon Georg Kallweit, très énergique et expressif, leur passion pour ce répertoire est communicative. Ils sont aussi agréables à entendre qu'à regarder, notamment le percussionniste, qui exécute parfois de très jolies chorégraphies avec ses jeux de baguettes.
La soprano Anna Prohaska n’est pas encore très connue en France, alors qu'elle réalise une très belle carrière en Allemagne notamment, son pays de naissance. Excellente comédienne, et bénéficiant d’origines irlandaises et anglaises, ses déclamations des textes de Shakespeare sont particulièrement frappantes. Sa prononciation est magnifique, et elle sert le verbe du poète anglais avec une passion évidente. Sa voix parlée détient une profondeur particulièrement émouvante. Elle possède également de très belles qualités musicales, visiblement très à son aise dans le répertoire baroque. Elle sait moduler avec un plaisir visible les vocalises nombreuses, et, même en chantant, décoche chaque mot comme une flèche dans les oreilles et le coeur du public. C'est un réel plaisir que d’entendre une chanteuse accorder autant d’importance au texte, surtout quand celui-ci est aussi beau. Sa voix, souvent dure, paraît toutefois artificiellement grossie, et manque légèrement de brillant et de rondeur. Et, de fait, elle paraît parfois en difficulté dans les aigus et certaines fins de phrase. Sa tendance à prendre les notes par en-dessous lui pose également des problèmes de justesse.
En guise de prologue, la soprano déclame le texte “If music be the food of love”, extrait de La Nuit des Rois, tandis que la viole ténor anticipe sa pédale (note tenue) de la Fantaisie pour 5 violes sur une seule note en fa majeur. Le lien qui est ainsi fait entre les deux pièces, et cette façon d’ouvrir le concert annoncent déjà un très beau programme. Le percussionniste annonce alors la pièce suivante en imitant à merveille le bruit d’un vent de tempête : la suite de The Tempest, admirablement interprétée. Après cela, les pièces s’enchaînent avec délice, menant au très beau monologue de Juliette, dans lequel Prohaska est magnifique, enchaînant à merveille avec The Plaint extrait de The Fairy Queen. Enfin sans partition, la chanteuse se révèle dans cette pièce véritable tragédienne.
Le reste du récital est à la hauteur, et le public se voit offrir un très joli bis, extrait de The Indian Queen. Espérons que la soprano Anna Prohaska régalera à nouveau les parisiens de ses nombreux talents.