Une Chauve-souris à fraîcheur adolescente
Ouvrage léger ne rime pas avec facilité. La Chauve-souris de Johann Strauss fils l’illustre de manière exemplaire. On ne saurait trop mesurer la gageure que constitue la plus célèbre des opérettes du compositeur viennois pour de jeunes interprètes, surtout s’ils ne sont pas « professionnels », même avec des adaptations.
Au départ de cette audace, il y a un souci de synergie entre un festival au budget modeste et une institution lyrique, entre Folies lyriques au Domaine d’O à Montpellier et l’Opéra de la métropole languedocienne, l’un et l’autre n’étant pas avare d’imagination. Car avec Opéra Junior, Montpellier peut s’enorgueillir d’être le seul théâtre lyrique à proposer un programme où des enfants et des adolescents, parfois complètement novices, peuvent découvrir l’univers de l’opéra par la pratique, avec les forces vives de la maison, et non, comme trop souvent, avec des moyens de seconde zone. Sans être inscrits dans des classes à horaires aménagés, ces artistes en bouton sont préparés, hors du temps scolaire, pendant plusieurs semaines, avant les répétitions et enfin le spectacle, pris d’assaut par les familles – mais pas que. Si tous ne finiront pas solistes dans le spectacle, ni n’envisageront ensuite de carrière artistique, Opéra Junior constitue une expérience de vie unique et formatrice à bien des égards, loin du formatage concurrentiel où se résume parfois le système scolaire.
Mais revenons à la lecture proposée par Benoît Bénichou. Le passage du plein air à la salle de l’Opéra Comédie n’a vraisemblablement pas tari la verve du spectacle, qui joue pleinement la carte du théâtre dans le théâtre, avec Dr Falke en maître de cérémonie. Le décor hétéroclite dessiné par Amélie Kiritzé-Topor, rehaussé par les lumières dynamiques de Thomas Costerg, sert un propos ludique, qui n’hésite pas à transposer l’action et les personnages dans un contexte plus contemporain, sinon local, inscrivant les péripéties dans le quotidien faluchard. Ainsi, l’armée d’avocats défend un Eisenstein accablé des turpitudes d’un ancien directeur du FMI. Dans la réduction à une heure trente, on perd sans doute plus d’un développement dramatique secondaire, d’autant que quelques ajouts non straussiens viennent agrémenter la pièce, entre Alfred poussant la chansonnette et une fête saturée de hard rock. Assurément, l’ensemble s’apparente à une appropriation juvénile et actualisée d’un argument peut-être un rien suranné, même si la simplification des virtuoses ficelles de l’illusion théâtrale n’évite pas toujours des effets un peu attendus.
Le format inhabituel de la distribution implique naturellement une écoute différente de celle pratiquée par l’académisme lyricomane. Au-delà de quelques réglages compréhensibles, c’est la Rosalinde d’Emma de la Selle que l’oreille retiendra. La fraîcheur de l’émission recèle un authentique talent vocal, frémissant dans l’expressivité de la ligne comme dans les promesses d’un timbre fruité. Tormey Woods affirme un abattage évident en Falke, quitte à laisser la volubilité prendre parfois le dessus sur la pleine intelligibilité du texte. Paul Besset s’implique sans réserve dans son incarnation de Gabriel von Eisenstein, compensant un chant plus proche de la variété que de la technique lyrique. Finoana Beulque fait un Alfred ravageur et intarissable dans son appétit du music-hall, en cela reflet fidèle du ténor de l’opérette originelle.
Les enjeux de la partition ont conduit à des trouvailles aussi iconoclastes qu’ingénieuses, à l’instar des doublements des personnages. Ainsi, pour Adèle au deuxième acte, Eva Kolly-Châtel se substitue-t-elle à la faconde de Garance Laporte-Duriez, présente dans les deux autres actes. L’homme de loi Blind se démultiplie en sextuor réjouissant, quand Frosch se dédouble à la façon d’un savoureux Dupont-Dupond avec Valérian Dieu et Sacha Baron-Daltrozzo. À Julie Paparin et Ananda Dingenen reviennent les élégances d’Ida, quand Josué Toubin-Perre et Tony Garnier se complètent en Frank et Gustave, les fils stagiaires du directeur de la prison imbibés d’accent méridional. Quant à Orlovsky, la mue de Marceau Mesplé a conduit à l’accompagner de sa femme, Ivana, pour conserver le rôle en registre de tête. Ajoutons également la performance théâtrale d’Anne Lopez, tour à tour gitane, mafiosette, baronne, call-girl et clown.
Préparés par Vincent Recolin, Marc Korrovitch et Guilhem Rosa, les chœurs d’Opéra Junior, dont les effectifs ont été sensiblement renouvelés au début de la saison, remplacement générationnel oblige, s’acquittent de leur exigeante tâche avec un enthousiasme qui prend le pas sur leurs inévitables limites. Mêlant les pupitres de l’Orchestre national Montpellier Occitanie et des élèves du Conservatoire à Rayonnement Régional de l’agglomération, la fosse suit la direction énergique de Jérôme Pillement, qui s’attache à mettre en évidence l’essentiel de la saveur d’une musique étourdissante. Un beau défi qui réconcilie contraintes pédagogiques et exigence de qualité.