"Désarmés", désarmant cantique pop-rock à la Maison de la musique de Nanterre

Faites l’amour pendant la guerre, faites l’amour malgré la guerre, faites l’amour parce que la guerre…
Les accords arpégés et glissés sur le long de la reverb à la guitare électrique, la nappe de sons aux claviers et le frétillement de la batterie qui ouvre le spectacle rappellent que Désarmés est un opéra-cantique contemporain et son effet de fascination ne faiblira pas (envoûtant toute une heure durant le public aux nombreuses familles et scolaires). La musique d'Alexandros Markéas et le texte de Sébastien Joanniez savent en effet se mêler et tourner, les gammes orientalisantes passent avec une impressionnante souplesse vers du rock psychédélique en même temps que le texte spirituel verse dans la passion : le cantique des cantiques rencontre Roméo et Juliette, de Bethléem à Woodstock. Certes et indéniablement, l'envoûtement opère, le public est fasciné par ce glissement infini des mélodies et des sons, mais au point même qu'il devient impossible de suivre le drame. Tout s'enchaîne sans épisodes, ni clés (clés musicales ni clés de l'intrigue). D'autant que la scénographie ne construit pas non plus de propos : les deux solistes (sans identité ni nom, seulement Elle et Lui dans le livret) seuls sur un miroir dans le plateau noir se mettent face-à-face, dos-à-dos, face-à-dos, face ou dos aux ados qui forment le chœur. Ce dispositif a toutefois le mérite indéniable d'être efficace et maîtrisé par les interprètes, en particulier la vingtaine de choristes (de l'option théâtre au Lycée Jeanne d'Albret de Saint-Germain-en-Laye avec la professeure Anne Fouilloux et du Conservatoire de Nanterre avec Valérie Gallet) : leur chant très juste, en place rythmiquement et avec ce qu'il faut d'air dans la voix pour rappeler la fraîcheur de leur insolente jeunesse, ils sont tout aussi à l'aise dans leurs déplacements scéniques (ils transforment les simples exercices connus de tous les élèves en cours de théâtre pour en faire des déplacements incarnés, suivant une émotion et une musique collective, pressées, oppressées, maîtrisées).

Le champ de bataille de l’amour
Les deux solistes vocaux se répartissent chacun une moitié de l'œuvre : la soprano déploie d'abord son intervention infinie durant toute une première partie, puis le ténor monopolise la seconde (ce qui n'aide en rien leurs interactions, et de fait la composition d'un propos dramaturgique). Cette division a toutefois le mérite indéniable de mettre en avant leurs qualités musicales, de justesse et de concentration au long cours. La soprano Laura Holm sait placer la voix avec la simple douceur idoine pour un chant amplifié par microphone. Cela lui permet de donner à sa souple ligne mélodique, mélodieuse et colorée le sourire et la candeur d'une voix sortie d'un film de Jacques Demy. Benjamin Alunni est devenu ténor au cours de sa carrière, cela s'entend : à l'aise dans les graves ronds et riches, il engorge un peu dès le medium, mais cela est aussi dû à son grand engagement, la voix et le corps tendus vers l'avant.

Laurent Cuniot, directeur de TM+ (ensemble orchestral de musique d’aujourd’hui) rappelle son aisance parmi le répertoire moderne aux formes musicales ouvertes et plurielles (comme nous vous en avions rendu compte pour Votre Faust à Châtillon et La Petite renarde rusée à l’Athénée). Il sait donner chaque départ et mener la battue d'un geste limpide, au souple cassé du poignet, comme se laisser porter -tout en les guidant subtilement- par les solos pop-rock.
Les instruments et les voix se réunissent enfin, les deux solistes combinent même leurs voix dans les contrepoints délicats de l'amour et d'une paix irénique. Brusquement, violemment, un rythme martial éclate fortissimo et les jeunes courent à travers le tableau. Désarmés est un opéra-cantique par et pour la génération terrorisée par la menace permanente d'un attentat.
