Le Palazzetto Bru Zane lance son année Gounod à Venise
Dans les années 2000, la Fondation Bru rachetait dans le quartier de San Polo à Venise le Palazzetto Zane, ancien casino édifié à la fin du XVIIème siècle. Sur la suggestion du chef Hervé Niquet, elle y héberge des activités de recherche musicologique : c’est la musique romantique française qui est choisie comme thème d’étude. Chaque année, l’œuvre d’un compositeur français du XIXème est ainsi explorée sous la direction d’Alexandre Dratwicki. Pour célébrer le bicentenaire de la naissance de Charles Gounod, c’est à lui qu’est dédiée l’édition 2018.
Ce week-end de lancement de saison prend pour thème « Charles Gounod, mystique ou romantique ? » : en deux concerts, ces deux facettes sont explorées dans la grande salle de la Scuola Grande di San Giovanni Evangelista. Le premier concert propose un programme d’airs extraits d’opéras de Gounod, accompagnés au pianoforte par Marine Thoreau La Salle (dont l’accompagnement attentif suit les inflexions et met en valeur les voix des chanteurs, mais souffre parfois d’un touché abrupt). Fidèle à la raison d’être du Palazzetto, l’idée est de faire découvrir des opéras peu connus (La Reine de Saba, La Colombe, Philémon et Baucis, Polyeucte ou La Nonne sanglante), ou bien des versions nouvelles d’œuvres célèbres, comme c’est ici le cas pour Faust et Roméo et Juliette.
Ce concert donne en effet un avant-goût du Faust que le Palazzetto donnera dans sa version originale au TCE au mois de juin (réservations ici) : si l’on comprend que Gounod ait ensuite coupé son duo entre Marguerite et Valentin au premier acte, tant pour des raisons dramatiques que musicales, l’air inédit de Siebel, touchant par sa douce mélancolie, mérite cette redécouverte (l’interprétation sur instruments d’époque, dirigée par Christophe Rousset, s’annonce également aussi passionnante que la présence de Benjamin Bernheim dans le rôle-titre).
Pour servir ce programme, trois chanteurs, fidèles du Palazzetto, sont invités. La soprano Chantal Santon-Jeffery fait étalage de son goût pour le théâtre, avec son phrasé très expressif. Elle couvre fortement sa voix, ce qui lui donne une certaine rondeur, sans pour autant souffrir du manque de volume que cette technique génère parfois, bien aidée en cela par l’acoustique généreuse de la salle. La prononciation du français est globalement soignée, mais les voyelles fermées manquent de précision : « l’amour » et « la mort » se confondent alors. Dans l’air de Beaucis (récemment entendu à Tours), elle allège les trilles et retient ses aigus, tout en délicatesse. Elle termine par le morceau de bravoure que représente l’air de Juliette « Quel frisson court dans mes veines », dans lequel son léger vibrato et sa voix ample séduisent tout autant que son passionnant discours musical.
Juliette Mars dispose quant à elle d’un large médium au vibrato appuyé. Chaque mot, prononcé en ouvrant les voyelles, est compréhensible. Bien qu’elle garde la bouche presque fermée, sa projection très directe est percussive. Ses intentions théâtrales sont parfois en décalage avec le propos, comme dans l’air (inédit) de Siebel (Faust) dans lequel son sourire contraste avec l’amertume du propos. Son chant nuancé étreint en revanche d’une infinie douceur la phrase « les pleurs qui tombent de vos yeux ». Dans un autre registre, elle se montre convaincante en maligne Martine (Le Médecin malgré lui).
Jérôme Boutillier offre un timbre brillant (sans doute trop clair pour le rôle de Valentin, d’ailleurs), aux graves sûrs et épanouis et aux aigus victorieux, ainsi qu’une diction parfaite. La densité de son vibrato s’appuie sur un souffle long. En Sévère (dans le duo de Polyeucte), il prend un air martial, mais affiche avec malice son comique dans Le Médecin malgré lui, et plus encore dans les « trou la la, coin coin » du Petit Faust de Hervé, clin d’œil des programmateurs qui réjouit le public.
Le lendemain, c’est Hervé Niquet qui investit la même salle, mais dans une configuration différente : il se tient au centre des lieux, entouré du Chœur de la Radio Flamande (dont il est le Directeur), en cercle, éclairé par les lampes des pupitres, le public entourant ce dispositif. C’est cette fois l’œuvre sacrée de ce Gounod « gothique » qui est explorée (et en particulier les Sept Paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ sur la Croix), en résonance avec des opus de Palestrina, Mozart ou Bach.
Après une improvisation du délicat François Saint-Yves à l’orgue, spirituelle, les sons longs de la chaude et suave polyphonie du Chœur dessinent une ambiance apaisée, propre au recueillement. Ces passages tranchent avec des pages aux élans furieux. Les attaques sont alors précises, tout comme les cadences conclusives : les chanteurs ont l’habitude de chanter ensemble et cela se ressent à l’homogénéité de leurs timbres et dissonances, de leurs nuances et de leur mise en place rythmique, y compris dans les contrepoints et les mouvements fugués. De ses habituels larges gestes, Hervé Niquet conduit son Chœur, laissant le son se développer en jouant sur la résonance des silences, auxquels répond l’écoute attentive du public, jusqu’à la délivrance finale. La réception de ce spectacle (qui passera par les Bouffes du Nord à partir du 3 juin) ne laisse aucun doute sur l’intérêt que le public a trouvé dans cette découverte d’un Gounod spirituel, à peine entraperçu dans la scène de l’église de Faust.