La Conférence des oiseaux, bien perchée à l'Athénée
30 oiseaux pèlerins encouragés par leur cheffe et semblable, la "huppe fasciée" partent à la recherche de Simorgh, leur nouveau et véritable roi, qui est en fait Dieu. Arrivés au bout de leur épopée, ils ne retrouveront rien d'autre qu'eux-mêmes : Simorgh, le roi et le divin étaient en eux depuis toujours, comme ils sont partout dans l'univers.
Connaître cette histoire et ses enjeux métaphoriques est un préalable indispensable pour le spectateur qui souhaite donner un peu de sens aux épisodes qui s'enchaînent sur la scène. Michaël Levinas assume un certain refus du théâtre, expliquant que La Conférence des oiseaux n'est pas du théâtre musical mais « une forme musicale lyrique narrative composée sur un livret et générée par des transformations lentes des scènes et des espaces ». La narration ne repose ainsi pas sur un conte, mais sur la succession de péripéties (séquencées par Lilo Baur) et l'enchaînement d'ambiances sonores, mariant instruments classiques et bandes-sons électroniques. Michaël Levinas est un ancien élève d'Olivier Messiaen (spécialiste pour marier la musique contemporaine et les chants d'oiseaux), il truffe ainsi sa musique de volatiles. Les nappes de sons enregistrés déforment et reforment des clusters de chants d'oiseaux (avec aussi des citations lyriques, comme l'ouverture du Guillaume Tell de Rossini). Les instrumentistes amplifiés s'entremêlent à ces sons pour former un ensemble électro-acoustique, tel un essaim (conservant une direction et un propos, avec l'individualité de chacun). Ces passerelles sont grandement facilitées par la direction de Pierre Roullier, qui donne les départs aux musiciens, indique les repères dans la partition en comptant ostensiblement sur ses doigts et déclenche également les effets sonores avec une pédale. D'autant que les instrumentistes de l'Ensemble 2e2m sont pleinement impliqués dans leur travail à la fois musical et scénique (ils imitent tous les oiseaux en battant des ailes et remuant la tête).
L'essaim s’accroît crescendo jusqu'à former d'immenses nuées, menaçantes, bruyantes, assourdissantes. Dans ce bruit saturé, la musique se déchaîne et le percussionniste parvient même à rajouter encore du volume sonore en jetant incessamment ses cymbales par terre (tandis que les acteurs, hallucinés, agitent des oiseaux au bout de longues tiges). Toutefois, outre ces volées d'oiseaux, l'auditeur pourra aussi reconnaître la continuité et la cohérence musicale dans cet intervalle de tierce majeure descendante, fil rouge de la partition.
La soprano Raquel Camarinha domine ce plateau et cette volée en incarnant la huppe fasciée, cheffe des oiseaux qui les encourage à l'aventure. La motivation se mue très rapidement en autoritarisme, laissant trop peu apprécier la qualité d'articulation de cette voix et son doux suraigu allégé, pour basculer dans les hurlements martiaux. Ce rôle lui permet toutefois d'électriser la scène et d'incarner, comme le revendique le compositeur, "une féminité de l'exigence, radicale, mystique, sacrificielle et religieuse [qui] s'adresse en leader charismatique et autoritaire, à la gent masculine et peureuse, à tous les oiseaux du monde". Une performance dominante avec des rigueurs sadiques qui rappelle sa récente prestation sur ces mêmes planches dans La Passion selon Sade.
Le comédien Lucas Hérault annonce les différents oiseaux qu'il incarne tour-à-tour, poussant l'imitation jusqu'à la douce folie, tournoyant autour de la huppe, déployant tout comme elle une cape ou les pans d'un vêtement telles des ailes. Le narrateur Hervé Pierre a pour sa part la qualité d'interprétation, de voix et de jeu déployée par un narrateur à voix d'ogre, digne sociétaire de la Comédie-Française. Bien que sa partie soit récitée et non pas chantée, c'est lui qui dégage le plus de musicalité par sa prosodie envoûtante et ses harmoniques graves.
Le couple d'oiseaux qui avait migré un instant revient sur scène avec des corbeaux empaillés sur leurs manteaux, ils s'avancent vers le public avec l'ensemble des interprètes, les yeux écarquillés devant la révélation au bout du voyage. Un périple fascinant qui aura assurément marqué ses spectateurs : le spectacle ne dure qu'une heure, il semble filer bien plus vite encore.
« Le soleil de ma majesté est un miroir. Celui qui se voit dans ce miroir, y voit son âme et son corps. »