Natalie Dessay et Michel Legrand en création mondiale au TCE
Quelle tristesse pour les fans du compositeur, il est malheureusement trop souffrant pour interpréter lui-même son Concerto, et, comme la veille, son épouse annonce qu'il en a confié l’exécution au jeune Ismaël Margain. Ce dernier se lance avec enthousiasme dans ce grand défi, accompagné par l’Orchestre Pasdeloup. Le début du Concerto ressemble fort au Concerto en sol de Maurice Ravel : même virtuosité, même utilisation des cuivres, mêmes rythmes répétés. Mais l'influence des musiques américaines (Gershwin, Copland) est également très présente, notamment dans les motifs en contretemps et dans les percussions. Viennent ensuite des passages plus dramatiques, entrecoupés de passages cadentiels au piano, puis un très long moment assez sirupeux, qui n’est pas sans rappeler le mouvement lent du deuxième Concerto de Rachmaninov. Malheureusement, aucune mélodie ne semble se détacher, et le tout ressemble à un chorus, une improvisation faite d'arpèges et de gammes, sans réel développement, malgré un final qui tente de monter en tension.
Le deuxième mouvement commence dans
une tout autre sonorité, plus moderne, plus déstructurée, mais
toujours sans mélodie. Assez vite, la
sonorité redevient très proche de la première. Le troisième mouvement est un grand finale très sonore, au point qu'on
entend à peine le piano. Le pianiste, qui a su relever le défi avec un grand
enthousiasme, parvient à exposer son grand talent. Il offre un très joli bis, sous forme d'improvisation
jazz.
Après l’entracte, place à un “oratorio”, qui raconte la vie d’une femme, incarnée ici par Natalie Dessay, de sa naissance à sa mort. Elle entre par le public, dans le noir, et cachée sous un grand voile blanc, en susurrant dans le micro une suite de mots, de plus en plus fort, de plus en plus chantés jusqu'au mot scream, entre le chant et le cri justement, très aigu dans la voix de poitrine. Elle sort alors de sa cape comme d’un cocon : elle est née.
De chansons en chansons, Natalie incarne d’abord une enfant qui a peur du noir, ou qui se pose les questions que tous les enfants se posent (d’où vient le vent, d’où vient la pluie), puis, adolescente, qui remet en question son rapport à sa mère (incarnée par une Jasmine Roy très bien dans son rôle, qu'on regrette de ne pas entendre plus longtemps). Mais en grandissant, cette femme ne fait qu’attendre le prince charmant, le trouver, et l’épouser pour devenir mère à son tour. C'est la propre fille de la chanteuse, Naima Naouri qui incarne l’enfant, fort bien d’ailleurs (il faut dire que son ADN vocal n’est pas des moindres), dans une scène qui reprend exactement la première chanson mère-fille. Après cette illustration du cycle de la vie, restent trois chansons sur le temps qui passe, sur la vie, et enfin sur la mort, qui finalement ressemble à un recommencement, puisque la chanteuse reprend la suite de mots de la naissance.
Malheureusement, la musique de Michel Legrand manque d’originalité et aucune n’accroche vraiment l’oreille. Les réminiscences des grandes compositions de Legrand sont nombreuses (la fugue de Peau d’âne, la chanson de Delphine des Demoiselles de Rochefort), mais rien ne s’approche vraiment de ses grandes chansons passées.
Natalie Dessay est toujours excellente comédienne, mais n’est pas tout à fait à son aise dans cette vocalité. Elle aborde le belting (élargissement de la voix poitrinée) avec courage et musicalité, mais cela ne compense pas les faiblesses vocales. Lorsque la soirée s'achève, le reste du public enthousiaste applaudit à tout rompre.