La Messe de Bernstein fait sacrément swinguer la Philharmonie
La première chose qui saute aux yeux en entrant dans la salle est l'ambiance parfaite pour cette œuvre : la Grande Salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris (du nom du pape de la musique contemporaine) avec un effectif immense qui remplit la scène et les travées derrière celle-ci, le tout dominé par l'orgue a des allures de temple mormon, mais l'atmosphère enfumée dans une lumière tamisée rappelle une cave de jazz. Tout l'esprit de cette Messe de Bernstein est réuni, et renforcé par la répartition des rôles entre les trois chœurs : le Chœur d'enfants de l'Orchestre de Paris tout en blanc avec postures et voix angéliques, les adultes du Chœur de l'Orchestre de Paris représentant le grand chœur d'Église tout en noir et chants sacrés (préparés par Lionel Sow), enfin l'Ensemble Aedes (préparé par Mathieu Romano) en cuir et chemises colorées, hélas peu à l'aise dans leurs postures scéniques de bad boys & bad girls (comme dans leur prononciation de l'anglais).
La première chose qui saute aux oreilles est le volume sonore, qui restera constamment assourdissant : tous les musiciens sont amplifiés, tout le temps et dans des volumes dépassant souvent le seuil de la douleur pour les tympans. D'autant que cela amoindrit l'impact d'un effectif orchestral qui était déjà largement assez fourni et de qualité pour inonder l'acoustique généreuse de la Philharmonie de Paris. Autre choix regrettable aux dépens des musiciens présents, mais celui-ci souhaité par Bernstein lui-même : plusieurs extraits pré-enregistrés et diffusés sur les enceintes viennent régulièrement interrompre la soirée et les beaux élans musicaux que les artistes commencent à déployer. L'Orchestre de Paris est pourtant immensément fourni et ample en cordes, avec une riche section de vents, un pupitre de percussions très fourni et rythmé : en place avec le swing des cuivres rutilant et claironnant, le tout surmonté des deux orgues et deux guitares électriques aux longues phrases réverbérées. Le mariage du classique et du jazz se célèbre dans l'effectif, la partition et le jeu proposé.
Célébrant l'office (ou plutôt animant la soirée), le Narrateur baryton Jubilant Sykes, est conçu comme un Évangéliste dans les Passions de Bach (il est plutôt ici un télévangéliste). Sa veste pliée sur le bras, fendant la foule de l'orchestre et finissant allongé au sol, il apostrophe l'assistance avec une voix de music-hall qui joue et chante. Hélas, murmurant souvent, il est inaudible sauf lorsqu'il lance sa voix à tue-tête.
Le vrai maître de cérémonie est le chef Wayne Marshall. Le plan de Marshall pour mener ses troupes instrumentales est aussi clair qu'efficace : les diriger par les grands coups d'une baguette martiale sur les passages rapides, mais battre en retraite, s'accorder une permission en reculant sur les passages souples pour laisser le tout swinguer.
La soirée s'achève comme un office dominical, sur un long "amen" final. Le public remplissant la Philharmonie acclame alors les artistes qui célébraient ici un double anniversaire remarquable : les 50 ans de l'Orchestre de Paris et les 100 ans de Leonard Bernstein.