Fidelio de Beethoven à Nantes
« Divinité, tu vois d’en haut le fond de mon cœur, tu le connais : tu sais bien que l’amour de l’humanité, le désir de faire le bien l’habitent » écrit Beethoven dans son testament d’Heiligenstadt en 1802. Il y a cependant un fossé, une distance considérable entre l’ampleur des pensées philosophiques et la gestation pragmatique de son unique opéra Fidelio, qui se fit dans la douleur, le doute, l’échec, neuf ans durant et demandant jusqu’à 18 reprises pour certaines parties. L’opus est marqué par l’inquiétude d’un homme confronté à la maladie, les difficultés d’un artiste déchiré entre l’appel de la fraternité et le goût de la solitude, la quête de la femme, de la bien-aimée lointaine. Telles sont les dimensions métaphysiques de cet opéra et tous les aspects que les metteurs en scène doivent concilier en s’attaquant à cette œuvre. Il en va de même pour les chefs d’orchestre en respectant les choix audacieux de l’orchestration, la richesse instrumentale qui préfigurent les grandes symphonies afin d’élever ce Singspiel (avec passages parlés) au rang d’un drame musical bouleversant comme le perçut si bien Wagner.
Le pari était donc risqué pour Philippe Miesch, architecte et plasticien, qui signe ici sa première mise en scène. À l’ouverture du rideau, le spectateur découvre un décor glacial, noir, austère, aux allures de bunker. Les lignes sont géométriques avec quelques effets graphiques, dans l'esprit du décor qu'il a conçu pour la mise en scène rennaise de Katia Kabanova par Frank Van Laecke. Au deuxième acte, un escalier de secours installé côté jardin conduit à la cellule de Florestan où la lumière encore réduite provoque un huis clos étouffant. La mise en scène est transposée à l’époque contemporaine dans une dictature. Le dispositif est très dépouillé, sombre, ne s’ouvrant que deux fois à la lumière employée de façon remarquable par François Saint-Cyr, lors de la sortie des prisonniers à la fin de l’acte 1 et pour la scène finale. Cet effet est efficace pour passer de l’univers carcéral sombre à la lumière, symbole d’espoir et de justice. Les costumes, également contemporains, caractérisent de manière évidente les personnages : les héros sont « des gens simples », comme le souligne Philippe Miesch, le méchant Don Pizarro est en costume noir et gants noirs, accordés aux lunettes noires de son acolyte mafieux, tandis que le gentil ministre, pieds nus, est en chemise blanche entrouverte, fleur à la main. Le jeu d’acteur est hélas fort peu mobile, souvent face public.
Les rôles féminins se distinguent, notamment celui d'Olivia Doray dont la voix est claire et agile, bien projetée et aux aigus faciles. Son timbre rond et son engagement émouvant conviennent parfaitement au personnage de jeune fille qu’est la charmante Marzelline. Claudia Iten, habituée à jouer ce rôle, campe une Léonore/Fidelio convaincante vocalement, mais moins scéniquement. Sa voix puissante au timbre lumineux est bien projetée. L’émission est limpide, le vibrato bien perceptible, les aigus bien contrôlés à l’exception du final ou ils deviennent forcés et criards face à un orchestre qui s’emballe.
Côté homme, Christian Hübner est gêné par une mauvaise bronchite dans son rôle de Rocco, le gardien de prison. Louable à lui cependant d’avoir assuré les représentations. Donald Litaker, ténor habitué aux rôles wagnériens, propose un Florestan vivant, trop vivant peut-être. La voix est pleine, bien projetée, puissante, le timbre est clair. Son « Gott » au début de son récitatif d’entrée est magnifiquement projeté, tant qu'il est difficile de l’imaginer mourant avec une telle puissance vocale !
Anton Keremidtchiev incarne le tyran Don Pizzaro. L’amplitude de sa voix est perceptible. Elle est puissante, sonore, les graves affirmés, les aigus timbrés. Le caractère haineux, autoritaire, glacial de son personnage aurait demandé plus de directions scéniques. Andreas Früh est un Jaquino qui manque de témérité, de projection, mais aussi de séduction pour incarner l’amoureux éconduit de Marzzeline. Une timidité qui se retrouve chez le baryton Pablo Arranday, qui incarne Don Fernando, le ministre bienveillant devant rétablir la justice avec autorité.
Mention spéciale pour le Chœur d'Angers Nantes Opéra placé sous la direction de Xavier Ribes qui assure avec dextérité les ensembles, avec des départs précis, une belle projection et homogénéité malgré le tempo démoniaque imposé par le chef d’orchestre, un tempo dont pâtit pour sa part l’Orchestre des Pays de la Loire. Les gestes sont confus, imprécis et précipités, dès l’ouverture et par-dessus tout lors du final de l’opéra. L’évocation de la future 9ème symphonie manque de phrasés, de respirations, au point même que Claudia Iten doit forcer les aigus pour tenir la cadence. La partition met pourtant merveilleusement en avant les instruments à vent, avec piccolo, contrebasson et notamment le hautbois essentiel dans la lecture de cette œuvre, puisqu’associé au personnage de Léonore.
C’est avec enthousiasme que la salle applaudit : de nombreux collégiens sont venus dans le cadre d’une action culturelle « collèges à l’opéra », malgré un froid glacial en ce 1er jour de printemps.