Pavol Breslik et Amir Katz à La Monnaie de Bruxelles, puissant et énergique Voyage d'hiver
Certitude d’un néant, fascination macabre, et solitude dévoreuse d’âmes, les images naissantes de ce Voyage d'hiver ne laissent nul indemne. Figés de froid, les mots prennent une nouvelle force grâce au chant puissant de Pavol Breslik, accompagné par le pianiste Israélien Amir Katz.
Sommet absolu du Lied Romantique, la musique aliénante et hostile de Schubert semble être l’œuvre messianique de la démence toujours moderne et d’une angoissante crise existentielle. L’odeur de la neige et des bois humides est palpable grâce au clavier franc d’Amir Katz, et la présence du ténor bouleverse cette idée attendue et intime des vingt-quatre Lieder.
Ici la force du chant puise dans les sentiments de la colère, la puissance vocale vient se briser sur les mots de Wilhelm Müller. Breslik est avant tout chanteur d’opéra, et le déploiement de sa voix, assurément puissante, devient l’ultime arme contre l’apitoiement hivernal. Précise, souple, vibrante et éloquente, la voix est humaine, presque animale même. Le ténor dépeint avec une rare variété une palette de couleurs, toujours forte, appuyée et masculine.
« Gefrorne Tränen » (Larmes de glace) sonne la naissance des doutes, les prémices de la perdition, et surtout de magnifiques graves, balancés par un clavier presque martelé. La voix de Breslik raisonne, la diction est marquée, presque violente et acérée. D’autres Lieder, comme « Wasserflut » plus dramatiques laissent au ténor l’exercice des aigus, plus difficiles et moins maîtrisés. Un certain regret se fait sentir : puissent les aigus avoir la même intensité que les graves ! L'intimité perdue, vient la question de la difficulté du récital de Lied. Un va-et-vient récitatif, où l’introspection permanente épuise l’interprète, entre colère déclamée et chant vif, Pavol Breslik fait preuve d’une constance, quasi performative et schizophrénique dans la puissance mais en omettant parfois l’âme même du Lied.
Retrouvé sur « Im Dorfe » (Au village), le doute, viscéral et calme s’instaure dans une partition énergique, dont le clavier tempère d’une surprenante douceur la voix appuyée du ténor. L’échange musical entre clavier et voix témoigne d’une relation complexe entre Pavol Breslik et Amir Katz. En équilibre permanent, l’un et l’autre se complètent dans la rage, infinie tristesse, ou silences appuyés.
Du premier Lied « Gute Nacht » (Bonne nuit) jusqu’à la question ouverte du 24ème Lieder « Der Leiermann » (Le joueur de vielle), le voyage prend la forme d’un désespoir circulaire et perpétuel. Pavol Breslik l’aura compris, emprunt d’une colère, d’un sujet trop maîtrisé, et trop entendu peut-être, le Lied Schubertien ici est résolument contemporain et véhément. Un renouveau très plaisant qui sonne sûrement une rupture avec la saison des récitals hivernaux. Prochaine date bruxelloise : Natalie Dessay !