Une claque Sex’Y à l’Amphithéâtre de Bastille
L’Académie de l’Opéra de Paris présente dans son Amphithéâtre de Bastille une création que sa Directrice, Myriam Mazouzi, nous avait décrite dans l’interview qu’elle nous a accordée comme un projet expérimental réalisé avec des amateurs et incluant le public, parlant de la jeune génération à travers la sexualité. Ce projet audacieux a été confié à Marie-Ève Signeyrole (qui nous en parlait déjà voici deux ans en interview), déjà aux commandes du Monstre du Labyrinthe qui faisait appel à des amateurs, ainsi que de la Soupe Pop, projet expérimental incluant le public. L’étude s’intéresse à la Génération Y (d’où le titre), prononcée génération « Why ? ». Cette génération, née entre 1980 et 2000, a grandi avec internet (le Y rappelle la forme de leurs écouteurs) et est la première génération à avoir vécu des relations électroniques dès le plus jeune âge.
La troupe, formée d’environ 35 jeunes amateurs anonymes que l’on apprend à connaître, a travaillé pendant près d’un an et demi pour apprendre à chanter, à déclamer, à bouger, à toucher et à se faire toucher, à se soumettre au regard de l’autre, y compris dans sa nudité : tous montrent un formidable engagement. Le personnage central, Guillaume, a ainsi par exemple dans les yeux et dans le pli des lèvres la rage caractéristique du comédien Vincent Rottiers : il semble porter en lui toute la misère affective du monde. Dans une œuvre inspirée d’épisodes de la vie de ces jeunes mélangés à des histoires fictives, les protagonistes se livrent dans leur intimité et touchent ainsi le public en vérité, dans un processus immersif. Les chanteurs investissent en effet les travées pour chanter. Une voix retentit, sonore : « Je suis à 10 km de toi ! ». Des murmures répétitifs montent alors de toute la salle, au plus près des spectateurs : « Je suis à 1 cm de toi ».
La musique est confiée au groupe d’électro pop québécois, les Dear Criminals, dont les airs mélancoliques résonnent avec les émotions des personnages désorientés. Représentation à l’Opéra oblige, certains airs sont inspirés de Bach, d’Offenbach (la barcarolle des Contes d’Hoffmann) ou Purcell (l’air du froid extrait du Roi Arthur). Les ambiances sonores, parfois pulsatiles et oppressantes ou bien suaves et envoûtantes, se joignent aux lumières variées (crues, ténues, stroboscopiques) de Philippe Berthomé et à l’ingénieuse scénographie de Fabien Teigné pour caractériser chaque scène.
Chaque scène est présentée par un hashtag : #RendezVous, #BachEnFamille, #SexyLullabies (référence à un album de Dee Robinson). Dans la première, des conversations électroniques s’affichent en fond de scène et sont déclamées par leurs auteurs, chacun d’eux étant assis derrière un écran d’ordinateur. Les phrases finissent par devenir anonymes tant les conversations se mélangent et s'enchevêtrent. Les avatars s’aiment, se provoquent, se quittent, se désirent, sans réellement se connaître, en se fantasmant. « Ne cherchez pas à tout comprendre », prévient la voix off de Marie-Ève Signeyrole, après avoir demandé au public de ne pas éteindre les portables et de ne pas hésiter à prendre des photos. Cette voix, conscience collective, reste extérieure à l’œuvre (« reprends ton texte, Guillaume »), interroge les personnages, les guide, y compris dans une séance de masturbation collective pointant l’individualisme des relations modernes et la recherche de performance (« On garde le rythme ! On monte le son ! ») jusqu’à l’orgasme qui, cette fois-ci, sera musical.
Durant 2h15 sans entracte, il est question de sexualité, mais sans vulgarité. À l’érotisme des corps habillés qui se touchent à travers un rideau de tulle succède la froideur des corps nus qui s’enlacent sans passion, interrogeant le rapport au corps (le sien et celui des autres). La violence des attouchements d’un groupe de dix hommes portant des masques de Mickey envers une femme consentante fait face au faux romantisme d’un couple à bicyclette, les cheveux volant face à un vent qui draine d’égoïstes selfies. Aux doutes d’un couple hétérosexuel face à la parentalité (« quand on a un enfant, on arrête d’être le héros de sa propre histoire ») répond l’angoisse de l’homosexuelle face à une décision mal réfléchie de donner vie par PMA. À chaque scène son questionnement. À chaque questionnement son concept de mise en scène.
Après la Soupe Pop, c’est une nouvelle claque qu’offre Marie-Ève Signeyrole au public, qui se lève d’un bond pour une longue standing ovation à la fin du spectacle (il faut dire que l’absence d’entracte génère après plus de deux heures un certain inconfort à rester assis !). Ses initiales sont les mêmes que « Mise en scène », et ce n’est peut-être pas un hasard.