Richard Cœur de Lion sacré à Reims
Avec l'aide de Sir Williams et de sa fille Laurette, Blondel, déguisé en troubadour aveugle, cherche à libérer le roi Richard Cœur de Lion des griffes du gouverneur Florestan. Celui-ci sera arrêté, par Sir Williams, pour avoir déclaré son amour à Laurette, ce qui permettra la libération du roi.
Deux personnages sont ajoutés à la distribution originelle. Dansant sur scène, vêtus de noir, ils amènent progressivement les protagonistes de l’argument en les portant littéralement et les posant sur le devant de la scène. Comme des marionnettes qui, une fois installées sur des planches de bois, prennent vie, parlent, chantent, les personnages ne se déplacent qu’au bon vouloir de leurs marionnettistes, qui actionnent poulies et cordes, faisant glisser les planches de gauche à droite de la scène. La mise en scène minimaliste et minutieuse s’appuie sur la fonctionnalité multiple des éléments techniques du théâtre. Les poulies vigoureusement actionnées rendent aussi le bruit du vent, la cellule de Richard est délimitée par de simples cadres de bois de part et d’autre du prisonnier.
Les quelques objets, table, chaise, violon, lampe, échelle, qui servent à l’argument pendent au plafond et sont progressivement descendus sur scène au moyen des poulies et des cordes. Tout est fluide, flotte dans l’air ou glisse, objets comme personnages. Les costumes, simples larges morceaux de tissus drapés, participent également à ce choix de mise en scène épurée.
L’attaque, d’abord douce, puis plus virulente des instruments, prépare l’arrivée du chœur, qui mêle ses voix à la ligne mélodique de départ, entonnant « Chantons, célébrons ce bon ménage ». Il propose de belles sonorités, mais manque de force et de coffre. La soprano Mylène Bourbeau, à qui revient le double rôle d’Antonio et de Marguerite, est assurée sur les aigus mais manque elle aussi de puissance (ce qui l'empêche de pleinement assurer les intervalles descendant par tierces et remontant par quartes qui doivent être accentués sur le temps fort ternaire pour instiller un mouvement de danse), d'autant qu'elle tend à transformer le « e » ouvert en « e » fermé sur l’air d’Antonio « La danse n’est pas ce que j’aime ».
Les voix masculines semblent plus en place et maîtrisées. Dans le rôle de Blondel, le ténor Guillaume Gutierrez est un interprète magistral du très attendu « Ô Richard, ô mon roi » (et c'est indispensable pour défendre cet air, devenu un véritable hymne royaliste durant la période révolutionnaire). Diction précise et voix chaude se maintiennent au gré des acrobaties que les marionnettistes font faire à Blondel, finissant posté pieds joints sur une chaise. Même assurance pour le baryton Lucas Bacro en Sir Williams, dont le seul défaut est la prononciation (parlée) très française d’un « goddam » lorsqu’il apprend que Laurette est amoureuse de Florestan.
Amaya Garcia fait ses débuts sur la scène lyrique avec l’air « Je crains de lui parler la nuit » de Laurette (un air repris par Tchaïkovski dans La Dame de Pique), fille de Sir Williams. L'air requiert l'assurance et l'agilité d'un gruppetto (ensemble d'ornements articulés autour d'une note pivot) et si son articulation est mise en difficulté, ses aigus prometteurs s’allient harmonieusement à la flûte. Sa voix porte davantage lorsqu’elle suit les syllabes de Blondel sur l’air « Un bandeau couvre les yeux/Du dieu qui rend amoureux », bandeau qui couvre également les yeux de Blondel pour figurer sa cécité factice.
À la félicité de cet air succède un branle-bas de combat dans la fosse. Les musiciens s’agitent, discutent, finissent par se lever et rejoindre la scène pour accueillir Marguerite, la Comtesse d’Artois. De musiciens, ils deviennent figurants de la procession. Les jambes fuselées des danseurs se muent en pattes de chevaux, Marguerite et sa cour-orchestre avancent, nobles, debout sur une grande planche qui se déplace lentement sur scène. Blondel s’empare du violon descendu des hauteurs, entame les premiers accords d’ « Une fièvre brûlante » dont la mélodie suscite l’émoi de la Comtesse. Lorsqu’il chante ensuite « Que le Sultan Saladin/Rassemble dans son jardin », accompagné des membres de l’orchestre, le chœur est à nouveau trop léger. Les choristes reprennent ensuite leur fonction première, et les cordes, claires, à l’unisson, reprenant la mélodie du dernier air, se déploient en une gracieuse harmonie, à la fois puissante et légère par l’ajout du timbre chaud du cor et les accents mordants du basson.
L'orchestre redescendu dans la fosse, le pianoforte d’Hélène Clerc-Murgier conclut délicatement le premier acte. Le bref changement de décor du deuxième acte s’inscrit toujours dans un choix minimaliste, quelques galets sont alignés à la façon du Petit Poucet jusqu’à la cellule de Richard, comme un rappel de l’inspiration littéraire de Grétry et du livret de Sedaine, fournie par le Conte de Blondel.
Richard, incarné par le ténor Constantin Goubet, est un roi mélancolique, qui préfigure presque, à deux siècles d’écart, la mélancolie de son homonyme Richard II, roi déchu et personnage shakespearien par excellence. Après avoir parlé en vain avec Florestan, joué par Kevin Franc, à la fois danseur et acteur, il s’apitoie sur son sort sur l’air « Si l’univers entier m’oublie », d’une voix chaude et bien tenue, capable de transmettre la douleur du roi et son identité régalienne intrinsèque.
Pour qu’il reconnaisse Blondel lorsqu’il chante « Une fièvre brûlante », la mise en scène choisit la solution la plus simple, les marionnettistes plaçant un mégaphone devant la bouche de Guillaume Gutierrez. Les voix, toujours fortes et offrant une articulation limpide, sont aussi symboliquement liées par le rapprochement physique des deux marionnettistes. L’un manipulant Blondel, l’autre Richard, les figurants se contorsionnent, pour finir par se toucher, assurant à Richard et à Blondel une reconnaissance d’identité réciproque. Toutefois, cela ne convient hélas absolument pas au caractère de ce thème musical, fondé sur la légèreté et le mouvement avançant de l'anacrouse iambique (succession accent faible/accent fort) qui avait tant séduit Beethoven (au point que le génie romantique allemand avait composé Huit variations sur Une fièvre brûlante, rappelant que Grétry était une référence majeure de la culture européenne, sachant traverser les périodes royalistes, révolutionnaires et impériales).
L’argument se précipite, Blondel piège Florestan, et Mylène Bourbeau revient en Antonio, sa voix plus convaincante et plus puissante lorsqu’elle défend Blondel auprès des soldats. Après les retrouvailles de Blondel et de la Comtesse, le stratagème mis en place pour faire arrêter Florestan lors de la fête chez Sir Williams permet à Lucas Bacro, au double emploi de Williams et d’un soldat, d’empreindre sa voix puissante de légèreté sur l’air « Et zic et zoc/ Et fric et froc » accompagné par des instrumentistes toujours sonores et bien en mesure.
Florestan arrêté, Richard libéré retrouve Marguerite. Entouré de petites lumières pareilles à des lucioles, dans une cérémonie qui rappelle le protocole d’un sacre, le couple royal chante ses retrouvailles, Constantin Goubet et Mylène Bourbeau véhiculant l’harmonie retrouvée de leurs voix assurées. L’harmonie et la félicité sont à leur comble pour l’air final « Ah quel bonheur, quelle ivresse », longuement ovationné par le public rémois.