Peer Gynt à l'épreuve de l'orchestre à Montpellier
Retrouvez ici notre compte-rendu de cet audacieux Peer Gynt à Limoges
Après Manfred de Schumann fin novembre (dont notre compte-rendu est disponible ici), Valérie Chevalier poursuit son exploration des objets lyriques non conventionnels à l'Opéra national de Montpellier, avec Peer Gynt de Grieg. Si la musique du compositeur norvégien est bien inscrite au répertoire, elle demeure solidaire de la pièce de son compatriote Ibsen quand il s'agit de la mettre sur scène. Le rapport attendu ici avec le texte s'avère différent de celui qu'un théâtre dramatique pourrait proposer, où la légitimité des mots primerait sur celle des notes, et il a donc été adapté par Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil.
Les dimensions du plateau du Corum, et son acoustique, offrent une belle expérience du public. Le décor de circuit de montagnes russes en bois où déambulent les personnages, comme les musiciens à l'avant trouvent l'espace nécessaire pour s'épanouir, sans que les différentes strates de ce dispositif inventif ne se chevauchent. Des caméras sont disséminées devant les travaux pratiques, dessins et autres jeux plastiques qui se succèdent au fil des péripéties, comme un commentaire visuel en temps réel. Telles des zooms, elles dédoublent le présent de l'action scénique, et l'occultent en même temps par l'agrandissement vidéo qui happe le regard, comme le désir et l'imagination face à la réalité : le procédé ne saurait être plus pertinent pour le sens de l'ouvrage. La fonction de la cabane de bois devient évidente, à la fois demeure de Peer et sa mère, ou celle de Solveig, en même temps que surface de projection pour la fantaisie débridée du héros et ses voyages.
Mais l'artisan essentiel de la soirée est l'Orchestre national Montpellier-Occitanie. La maturité des textures, le contraste dynamique entre l'onirisme poétique et la rusticité des rythmes et des motifs, fruits d'une assimilation romantique du folklore scandinave, impulsé par Michael Schønwandt, témoignent des progrès évidents de la phalange languedocienne, qui a retrouvé sa place parmi les meilleures formations en régions. Saluons en particulier le savoureux frémissement du violon solo de Dorota Anderszewska. La partition de Grieg se trouve alors restituée dans sa richesse, et structure la dramaturgie du spectacle. Le chef danois sait en trouver la juste respiration. Ainsi, chaque séquence de la première partie se referme sur un mouvement lent et une leçon que le héros ne méditera qu'à la fin de sa vie.
Les solistes en tirent bénéfice, en s'inscrivant dans un projet qui atteint sa pleine intelligibilité. Tenu par un comédien, Thomas Gornet, le rôle-titre fait converger l'attention sur lui, avec une déclamation relayée par une amplification calibrée, qui contribue à ne pas écraser ses partenaires : les deux autres actrices qui complètent la narration, Marie Blondel et Amélie Esbelin, comme les interprètes lyriques, entre autres son double confié à Philippe Estèphe, valeur montante de la nouvelle génération. Celui-ci montre un habile sens de la caractérisation, avec une émission solide, aux évidentes ressources, tant dans un medium bien dessiné que des graves en phase de prometteuse maturation. En Solveig, Norma Nahoun distille une innocence irradiante, au diapason d'une écriture éthérée magnifiée par une ligne souple et légère, qui ne cherche jamais à forcer le sentiment. La chanson qui lui est dévolue respire avec une juste et touchante retenue, quoique parfois discrètement sur la réserve. Marie Kalinine dévoile le timbre riche, presque musqué, idéal pour le personnage mutin d'Anitra. L'émission affirme une admirable homogénéité sur toute la tessiture, soutenue efficacement par la baguette.
C'est dans les effectifs du chœur de la maison (préparé par Noëlle Gény) que sont puisées les souriantes et ludiques interventions des filles des pâturages (Véronique Parize, Christine Craipeau et Alexandra Dauphin), aux faux-airs de wagnériennes nixes du Rhin, ainsi que le voleur campé par Jean-Philippe Elleouet-Molina et le receleur également confié à une autre basse, Xin Wang. Étoffé par les artistes en herbe d'Opéra Junior, le chœur s'inscrit harmonieusement dans une conception générale qui désormais n'a pas usurpé sa place au répertoire d'un théâtre lyrique.