Légère Princesse à Lille
C’est une création qui était attendue l’an dernier, mais qui avait dû être reportée, les travaux de rénovation de la Salle Favart de l’Opéra Comique, qui a commandé cette œuvre, n’ayant pas pu être achevés à temps. C’est donc à Lille que la création de cette Princesse légère, conte familial composé par Violeta Cruz, se tient. Inspiré d’un conte de fées de George MacDonald, cet opéra, dont le livret est écrit par Gilles Rico, raconte l’histoire d’une princesse ayant subi au berceau un maléfice d’une sorcière : cette dernière lui a retiré la gravité, dans tous les sens du terme. En effet, non seulement s’envole-t-elle dans les airs si elle n’est pas lestée, mais elle ne peut non plus s’arrêter de rire, insensible à tout problème. Il lui faudra donc apprendre à pleurer (un prince charmant, bien entendu) pour se défaire de ce sortilège.

La musique de Violeta Cruz, d’une grande complexité rythmique, multiplie les sources d’inspiration. Si certains passages viennent du jazz, d’autres sont directement inspirés du répertoire opératique. La partition dévolue à la Princesse laisse ainsi entendre les vocalises de la Reine de la nuit (La Flûte enchantée) ou d’Olympia (Les Contes d’Hoffmann), la prosodie de l’Enfant (et les Sortilèges) et même certaines intonations de la Petite renarde rusée. Sous la direction de Jean Deroyer, l’Ensemble Court-Circuit, soutenu par le travail sonore de l’IRCAM, livre un travail d’une grande précision. Les glissandi des violons se heurtent aux notes piquées du saxophone et du basson. Les percussions (avec une belle partition de woodblocks), très présentes dès l’introduction, créent une ambiance exotique qui transporte le spectateur dans le conte. La contrebasse elle-même dispose d’une partition percussive, les cordes étant claquées dans d’implacables pizzicati. Les parties vocales, utilisant un parlé-chanté très proche de la parole, sont très fragmentées, hachées par une sorte de bégaiement qui crée parfois un comique de répétition bienvenu, mais génère dans certaines scènes des longueurs inutiles, surtout dans une œuvre ne durant qu’une heure vingt. Le monologue du Roi, au cours duquel ce dernier hésite à rendre visite à sa sœur la sorcière, aurait ainsi pu être réduit de moitié sans perte dramatique ni musicale.

La mise en scène, très créative, est signée Jos Houben et Emily Wilson. Le spectacle débute avant même les premières notes : tandis que les voix des nombreux enfants présents (et à la grande qualité d’écoute) résonnent dans la salle, le spectateur peut apercevoir les grandes enceintes surplombant la scène et permettant de donner vie aux jeux de sonorisation. Le comédien (et chanteur percussionniste) Guy-Loup Boisneau vient à l’avant-scène mimer les consignes habituelles (extinction des téléphones, interdiction de prendre des photos ou de manger) ou moins habituelles, obtenant les premiers rires du public. Avec un grand dynamisme, la situation initiale et l’élément perturbateur sont exposés, dans un jeu elliptique d’apparition-disparition des personnages très dynamique. Si l’absence de surtitrage ne pose pas de problèmes durant les parties solistes, tous les protagonistes ayant une excellente diction, elle rend en revanche incompréhensible le propos des personnages dans les ensembles : si ce phénomène semble parfois recherché, il nuit à d’autres moments à la compréhension de l’intrigue. Les éléments de décor (signés, au même titre que les beaux costumes très caractérisés, par Oria Puppo), très simples, sont astucieux et permettent de créer (également grâce aux savants éclairages de Nicolas Simonin) les différents tableaux réclamés par l’intrigue.
La Princesse est incarnée par Jeanne Crousaud, dont la voix légère (c’est bien la moindre des choses !) au vibrato rapide vocalise avec finesse et agilité pour former les rires de la jeune femme. Tandis qu’elle joue avec un ruban de GRS, des jambes en bois sont manipulées devant son pantalon noir afin de donner l’illusion qu’elle flotte dans les airs. Lorsqu’elle teste la pesanteur en se lestant de poids, sa ligne vocale devient piquée et émise avec lourdeur, dans une musicalité imagée.

Le Roi et la Reine, Nicholas Merryweather et Majdouline Zerari, forment un duo convaincant. Leur dispute dans un jeu de balançoire (lui aussi un peu long) met en exergue l’accord de leurs deux voix. Celle du premier est claire mais étroite, tandis que celle de la seconde dispose de graves épanouis et d’aigus serrés. Dans le rôle du Prince, Jean-Jacques L’Anthoën dispose de beaux graves, joliment couverts et projetés avec lyrisme. Kate Colebrook et Guy-Loup Boisneau complètent la distribution en interprétant avec beaucoup d’énergie de nombreux personnages secondaires, parfois extravagants, comme la Sorcière ou les Docteurs.
À en juger par le silence ayant régné tout au long de la représentation, la proposition artistique semble avoir convaincu son public familial, bien que certains passages très oniriques, ou faisant appel à l’anglais, puissent avoir rendu la compréhension difficile aux plus jeunes.
Réservez dès maintenant vos places pour ce spectacle les 9, 10 et 11 mars à l'Opéra Comique !