Cantate baroque en message d’espoir et de lumière à la Philharmonie
Après avoir précédemment présenté l’œuvre de Bach autour des thématiques des « Lumières » (retrouvez-en ici notre compte-rendu), puis « Du passage », le jeune et talentueux chef d’orchestre Raphaël Pichon le convoque autour de celui de « L’appel ». En se rapportant au contexte de production des Cantates de Bach, il faut ancrer le terme dans la religion luthérienne, et considérer qu’il englobe aussi bien l’acte de célébration du Christ, que le questionnement du croyant sur sa venue, en passant par le prêche du prêtre qui invite les fidèles à prier le Seigneur pour accéder, après la mort, aux jouissances célestes. Ce n’est toutefois pas cet élément religieux et historique que le chef souhaite souligner à cette occasion, mais le « message d’espoir et de lumière » contenu dans ces cantates, discours métareligieux et universel.
Ce message se fait entendre au cours de la soirée autour de trois cantates du compositeur allemand, mais aussi d'un motet de Vincenzo Bertolusi ( ? – 1608) et une pièce de Michael Praetorius (1571–1621). À l’occasion de cet événement, quatre chanteurs sont conviés comme solistes : Maïlys de Villoutreys (soprano), Christopher Lowrey (alto), Robin Tritschler (ténor) et Christian Immler (basse). Ceux-ci s’illustrent par leur heureuse maîtrise du répertoire baroque, et sont accompagnés à merveille par un orchestre très réactif sous les mouvements contrôlés de Raphaël Pichon.
Dès les premiers instants de la cantate Wachet ! Betet ! Betet ! Wachet !, l’Ensemble Pygmalion, que composent le chœur et l’orchestre, laisse entendre une maîtrise assurée du répertoire de Bach. Accompagné ou a cappella, l’équilibre sonore entre les différentes voix est des plus délicats et la précision rythmique aboutie. Au fil de la soirée, le public s’émerveille face aux lignes contrapuntiques qui se superposent entre les différentes tessitures, notamment lors de l’interprétation du motet Osculetur me osculo de Vincenzo Bertolusi, dans lequel la phrase « Qu’il me baise des baisers de sa bouche ! », introduite par les sopranos, est successivement reprise par les autres tessitures dans un canon saisissant. Le chœur propose également des moments d’une grande solennité, notamment lors du choral « Freu dich sehr, o meine Seele » (« Réjouis-toi, mon âme ») dans lequel les voix s’élèvent conjointement, grandioses, avec une heureuse justesse. Une certaine cohésion, une harmonie est perceptible entre les chanteurs et l’orchestre, dont les mouvements du chef en forment la pierre angulaire.
La mise en espace est sobre. Sur l’estrade, le chœur siège, majestueux, surélevé par rapport à l’orchestre et aligné dans une symétrie parfaite. Les solistes s'y joignent, et, quelques instants avant qu’un air ne leur soit consacré, ils se détachent discrètement pour rejoindre l’obscurité avant d’accéder au-devant de la scène. Le tout donne une certaine impression de monumentalité, de grandeur statique. Cette sobriété de la mise en espace se teinte parfois d’immobilisme, notamment lors du premier duetto entre Maïlys de Villoutreys et Christian Immler dans la cantate Wachet auf, ruft uns die Stimme. Alors que ces airs rendent compte d’un échange passionné entre le croyant (soprano) et Jésus (basse), les deux chanteurs, chacun à l’extrémité de la pièce, ne se regardent pas, mais partagent leur attention entre le livret et le public.
En guise de décor, un unique grand drap tapisse le fond de la scène, dont la teinte alterne en fonction des atmosphères, des ambiances et de la signification des morceaux. Au niveau des lumières, fruit du travail de Bertrand Couderc, point d’extravagance. Parfois, la lumière se tamise en teintes bleutées lorsque le chœur se réfugie au fond de la scène. N’éclairant alors plus que ces quelques silhouettes, elle se mêle merveilleusement bien à l’a cappella du motet de Vincenzo Bertulosi (Osculetur me osculo) et aux arabesques du chef d’orchestre dans un beau moment de poésie. Cette lumière peut être individualisatrice, mettant en valeur par un faisceau lumineux tel chanteur ou tel musicien de l’orchestre dont la partie est soliste. Enfin, elle se tourne vers le public, notamment lors du motet final In dulci Jubilo (Dans une douce allégresse). La symbolique est très forte : au-delà des mots, de l’harmonie entre les différentes voix qui composent le chœur et du chant céleste du violon piccolo, la lumière elle-même se fait alors prêcheuse de l’espoir.
La soprano Maïlys de Villoutreys se montre très à l’aise dans ce répertoire, alliant une grande virtuosité dans l’exécution avec une belle expressivité dans la voix. Que ce soient de longues vocalises formant des marches harmoniques ou des notes tenues, elle montre une admirable gestion du souffle. Elle se révèle également heureuse comédienne, notamment dans l’air « Lasst der Spötter Zungen schmähen » (« Laissez les langues des blasphémateurs lancer leurs invectives »), où elle arbore une expression angélique et rassurante face au public : « La terre et les cieux peuvent disparaître/ Mais la parole du Christ subsistera à jamais. »
Le programme de la soirée donne une place assez discrète au contre-ténor Christopher Lowrey. Ayant exclusivement chanté comme soliste dans l’air « Wenn kömmt der Tag, an dem wir ziehen » (« Quand viendra donc le jour où nous partirons »), celui-ci n’est que trop peu sous les lumières bienveillantes de Bertrand Couderc. Statique, partition à la main, le contre-ténor fait toutefois entendre une voix puissante, juste, éclairant de temps en temps son discours par quelques aigus brillants.
Principalement entendu lors de recitativi accompagnati (« Auch bei dem himmlischen Verlangen », « Jedoch bei dem unartigen Geschlechte »), le ténor Robin Tritschler tient le rôle de l’Évangéliste. « Même dans notre aspiration au ciel, La chair tient notre esprit prisonnier » déclame-t-il dans le premier récitatif. Au milieu du chœur, au fond de la salle, celui-ci fait entendre une voix puissante, qui résonne admirablement dans toute la salle, et dont le timbre chaleureux et cuivré est des plus adaptés au rôle du prêcheur. Dans l’unique air pour ténor entendu lors de la soirée « Hebt euer Haupt empor » (« Relevez la tête »), il montre une belle présence sur scène, rassurant le chrétien quant au jugement dernier (« Soyez confiants, vous, les justes/Pour l’épanouissement de vos âmes ! ») par une voix bien placée à la diction claire.
Le basse Christian Immler est très convaincante toute la soirée durant, que ce soit dans le récitatif « Erschrecket, ihr verstockten Sünder ! » (« Tremblez d'effroi, pécheurs invétérés ! ») dans lequel il professe la venue du jugement dernier et la destruction du monde, mais aussi au sein du duetto avec Maïlys de Villoutreys « Wenn kömmst du, mein Heil ? » (« Quand viens-tu, mon sauveur ? ») dans lequel il interprète le rôle de Jésus. Sa voix robuste, puissante et dramatique, mêlée à une diction de l’allemand particulièrement travaillée, se fond à la perfection dans les rôles que celui-ci arbore. De plus, étant à de nombreuses reprises sur le devant de la scène, il peut faire entendre au public l’étendue de sa palette vocale, dont le timbre grave se substitue dans les médiums à une sonorité plus chaleureuse. Enfin, Christian Immler sait jouer les rôles qu’il incarne. Aussi, la théâtralité de certaines expressions sur son visage ou de certains mouvements corporels ajoute-t-elle à sa prestation musicale une authenticité dont le public sait profiter au cours de la soirée.
La représentation se conclut par la cantate In dulci Jubilo, écrite par Michael Praetorius à l’occasion de Noël en l’an 1619. Les trompettes viennent s’ajouter à l’effectif orchestral pour faire résonner par des harmonies célestes la venue du Messie. La fin du concert se fait alors triomphale et s’apparente à un envoi dominical.