Caprices de Divas, joute musicale de la Royal Academy of Music depuis la Salle Gaveau
Dans le magnifique écrin de la Salle Gaveau, l’orchestre bruxellois Les Muffatti ouvre ce joli bal avec l’ouverture de Scipione. Le fait qu’ils soient dirigés par la Premier violon (Rachael Beesley) les pousse à une écoute interne formidable. Leur cohésion musicale est frappante, ce qui rend légèrement fâcheux le manque de cohérence visuelle, notamment au niveau des tenues vestimentaires, ainsi que de la gestuelle. Les trois chanteurs entrent en scène avant même la fin de l’ouverture : ils incarnent trois des interprètes ayant le plus participé à la volonté de Georg Friedrich Haendel d’imposer l’opéra italien à Londres : Francesca Cuzzoni (Myriam Arbouz, soprano), Francesco Bernardi, dit « Il Senesino » (Paul-Antoine Bénos-Dijan, contre-ténor), et Anastasia Robinson (Anthea Pichanick, contralto). Après les applaudissements, c’est le Maestro Haendel en personne, tout en perruque et costume d’époque, qui fait son entrée. L’excellent comédien Philippe Vallepin personnifie à merveille le musicien, grâce à des textes de Jean-François Lattarico. Il raconte au spectateur les affres de la vie de compositeur d’opéra, entre les caprices des interprètes, les règles très précises à respecter, la difficulté de trouver un livret de qualité, etc. C’est à la fois drôle et instructif, même si le texte est parfois légèrement alambiqué, et si Philippe Vallepin aurait pu travailler un tout petit peu plus sa prononciation italienne.
Pour illustrer son propos, « Il Senesino » ("natif de Sienne") lance les hostilités. Commence alors un très joli récital, composé d’airs et de duos assez peu connus pour la plupart, permettant de belles découvertes pour le spectateur. Légèrement nerveux au démarrage, Paul-Antoine Benos-Djian fait preuve d’une très belle sensibilité, servie par une voix magnifique, qu’il maîtrise à merveille. Juste après lui, Anthea Pichanick charme immédiatement le public, notamment grâce à une théâtralité superbe et une incarnation du texte, surtout dans le récitatif, qui font oublier des graves légèrement laryngés au début, peut-être pour cause de trac. Son charisme attire tous les regards, bien avant qu’elle ne commence à chanter, d’une voix chaude et ronde, dont la douceur cède parfois la place à l’agressivité que nécessite le texte. Myriam Arbouz n’est pas en reste au niveau de la musicalité, même si son timbre est un peu aigre, et ses aigus nerveux. Sa voix manque malheureusement de rondeur, mais elle se rattrape avec de très belles qualités musicales et une grande aisance technique dans ce répertoire. Lors de son duo avec le contre-ténor, elle est d’ailleurs bien plus généreuse théâtralement que son partenaire, et semble plus à l’aise. Les trois chanteurs français profitent à merveille de la Salle Gaveau pour offrir au public de belles nuances. Il est simplement dommage qu’ils aient tout chanté avec partitions (sans trop les regarder, il faut le reconnaître), les pupitres n’étant pas très esthétiques, et surtout leur grand défaut étant de révéler les petites faiblesses des chanteurs. Ceux-ci s'accrochent littéralement à leur partition lors de petits moments de doute ou de flottement par rapport à l’orchestre, dont l'absence de chef rend le retour à la synchronisation difficile. En outre, l’orchestre rencontre des problèmes de justesse grandissant à mesure que la soirée avance, cela faisant évidemment partie des inconvénients de jouer sur instruments anciens.
La deuxième partie du concert voit Haendel progresser dans sa colère envers ses interprètes capricieux, et les anecdotes se font de plus en plus drôles et cocasses, mais malheureusement le rapport avec les airs interprétés n’est pas toujours évident pour le spectateur, et finalement, celui-ci regrette que les liens directs avec les chanteurs ne soient pas plus travaillés. Il ne sait pas trop, en effet, si ces derniers incarnent réellement leurs lointains prédécesseurs ou bien s’ils ne sont qu’eux-mêmes.
Finalement, tous les interprètes sont ovationnés par un public enthousiaste et les bis s’enchaînent : cette soirée est un joli succès, et G. F. Haendel doit se réjouir dans sa tombe d’être ainsi mis à l’honneur !