Attila au TCE : l’équilibre, c’est la basse
L’opéra est injuste envers les basses : les rôles-titres qui leur sont dévolus (hors répertoire russe) sont extrêmement rares. Attila en fait partie, mais n’est presque jamais joué. Pour une fois que celui-ci l’est, en version concert au Théâtre des Champs-Elysées (après Lyon dimanche dernier), c’est à un baryton-basse que le rôle est distribué. Erwin Schrott (qui remplace Dmitry Ulyanov, une basse pour le coup, initialement prévu), justifie cependant pleinement ce choix, tant il convainc dans ce rôle de conquérant : son entrée est triomphale, et ses graves, caverneux, larges et magnifiquement amples, sont souverains. Dans un long souffle, il déploie une puissance saisissante, ainsi qu’une richesse d’harmoniques qui foudroie l’auditoire.
Il trouve face à lui du répondant en la personne de Tatiana Serjan, interprète d’Odabella. Si sa diction laisse peu de place aux consonnes, sa voix est une artillerie lourde par laquelle elle défie Attila et inonde la salle, de son timbre sculpté, le visage illuminé d’un regard de guerrière. Capable de voltiges dans les aigus, elle offre également une profondeur étonnante dans des graves rarement aussi amples chez les sopranos. Moins flamboyante dans la seconde partie (mais son grand air est alors passé), elle offre l’avantage de mieux y équilibrer les ensembles.
Car c’est là que le bât blesse : face à deux voix si imposantes, les autres interprètes aux puissances vocales plus communes, peinent à exister. Les duos Attila/Ezio et Odabella/Foresto de la première partie se trouvent ainsi totalement déséquilibrés. Heureusement, la seconde partie offre des arias aux deux infortunés. Le baryton Alexey Markov y montre une voix très couverte au vibrato léger et rapide. Son timbre patiné évolue vers un aigu très dense. Son phrasé autoritaire se fait plus lyrique dans les parties douces, bien mises en valeur par un legato soigné.
Le ténor Massimo Giordano place sa voix très haut. Il prend ses aigus par en-dessous, ne parvenant pas à ouvrir suffisamment son instrument pour les émettre sans cette technique, qui pose cependant des problèmes de justesse et de fréquents micro-dérapages. Il tient en revanche de magnifiques dernières notes, brillantes et puissantes, vibrées avec régularité et rondeur. Comme Markov, il livre une très jolie aria : n’ayant pas besoin d’exister face à ses colosses de collègues, il dévoile une voix moins tendue et un timbre voluptueux. Il est d’ailleurs copieusement applaudi par un public très réactif.
Dans un rôle plus restreint, le jeune ténor Grégoire Mour (artiste du Studio de l’Opéra de Lyon) chante un Uldino manifestement impressionné dans ses premières interventions, mais exposant le timbre riche d’une voix qui gagne en assurance au fil de la soirée. Le Chœur de l’Opéra national de Lyon (dont s’élève Paolo Stuppenengo dans le rôle de Leone) souffre au début de problèmes de justesse, mais se rattrape par la suite par la cohérence de son interprétation, notamment dans sa douce lamentation, très expressive.
Le chef Daniele Rustioni offre une interprétation remarquable de l’œuvre, tant d’un point de vue théâtral que musical. Véritable showman, il saute avec d’amples mouvements ou marque la délicatesse sautillante d’un passage en balançant ses jambes fléchies de gauche à droite comme le ferait un skieur enchaînant les portes d’un slalom. Dans la scène du banquet, il fait rire le public en dodelinant de la tête, agitant les bras de manière précieuse, dessinant visuellement le caractère qu’il souhaite donner au passage. Lorsqu’il revient après l’entracte, c’est déjà une ovation qui l’attend, une spectatrice s’écriant même « Il est beau ! ». Musicalement, il dirige son Orchestre de l’Opéra national de Lyon d’un geste délicat, qui se fait ample pour exhorter ses musiciens au lyrisme. Il appuie les contrastes, marque les accents et varie les couleurs, livrant une interprétation très vivante de ce trop rare chef-d’œuvre de Verdi, que les lyonnais auront une nouvelle chance d’entendre au mois de mars (réservations ici).