Juan Diego Flórez tutoie les cimes au TCE
Juan Diego Flòrez est un habitué de la série des Grandes Voix présentée au Théâtre des Champs-Élysées et à chaque fois il surprend. Paré désormais des atouts de la maturité sans rien perdre pour autant de ses qualités d’origine -bien au contraire- et après une vingtaine d’années de carrière, il s’ouvre à de nouveaux horizons radieux.
La première partie de ce récital d’airs d’opéras se trouve consacrée à Mozart, en déclinaison de son récent et remarquable disque Mozart paru chez Sony Classical avec La Scintilla Orchestra dirigée par Riccardo Minasi. À Paris, c’est l’Orchestre de Chambre de Lausanne placé sous la baguette de son jeune chef titulaire américain Joshua Weilerstein qui l’accompagne. Dès l’air de Belmonte tiré de L'Enlèvement au Sérail, « Ich baue ganz auf deine Stärke », la messe est dite ! Le legato est souverain, l’incarnation en place, la virtuosité frise la perfection. « Il mio tesoro » de Don Giovanni offre un portrait plus viril, plus concerné du personnage de Don Ottavio, trop souvent sacrifié aux mannes exclusives et trop passives du beau chant. Son Tamino de La Flûte Enchantée (Dies Bildnis) et plus encore l’air l’Alessandro du Roi pasteur (Si spande al sole in faccia) confirment son adéquation avec un répertoire en fin de compte trop peu incarné jusqu’à présent à la scène. Avec le terrifiant « Fuor de mar » extrait d’Idoménée, ici interprété dans sa totalité, Juan Diego Florez s’aventure sur un terrain plus sensible. Mais la voix s’est encore épanouie, renforcée, lui permettant de livrer une prestation enthousiasmante : il se joue des vocalises dramatiques de l’air, lui insufflant une vérité criante, une profondeur inattendue.
Joshua Weilerstein se met totalement à son service et lui offre un bel écrin. Cette première partie se trouvait par ailleurs et comme il se doit ponctuée de différentes ouvertures : Les Noces de Figaro, Don Giovanni, Cosi Fan tutte. La direction apparaît dynamique, un peu nerveuse aussi, avec des forte accentués, loin sans doute des versions un rien « baroquisantes » actuelles, mais en fin de compte convaincante. Il est à noter que Juan Diego Flòrez, à son entrée en scène, porte une veste et un pantalon dépareillés, s’excusant avec humour devant le public parisien de cette faute de goût dans la capitale de la mode, la bonne veste ayant été oubliée à l’hôtel : malheur réparé un peu plus tard. La seconde partie de la soirée allait permettre au ténor de poser des jalons nouveaux, tout en ne négligeant pas son compositeur fétiche, Rossini, avec l’air de Rodrigo d’Otello, « Che Ascolto » qui lui sied à merveille et lui permet de prouver que la voix conserve toute son aisance, sa souplesse. Le temps fort à venir sera sa prise de rôle d’Hoffmann dans la production des Contes d’Hoffmann d’Offenbach que l’Opéra de Monte-Carlo monte à son intention en janvier 2018 dans une mise en scène de Jean-Louis Grinda, avec Olga Peretyatko dans les quatre rôles féminins, Nicolas Courjal incarnant les méchants. Dans un français de grande allure, il démontre qu’il est prêt à se mesurer à un rôle plus lourd que ceux qu’il chante habituellement. La Chanson de Kleinzach impose un médium étoffé, plein, même si l’aigu tire un peu, mais l’air « Ô dieu, de quelle ivresse », tiré du troisième acte de l’ouvrage (celui de Giulietta) apparaît comme un pur enchantement, un rêve éveillé.
L’air de Rodolfo de La Bohème de Puccini « Che gelida manina », doit se considérer plus comme un plaisir que se fait l’interprète à lui-même. Pour autant, quelle jeunesse en émane, quelle clarté dans l’intention. L’air du Duc de Mantoue « Questa o quella » de Rigoletto lui permet d’aborder Verdi, tout comme l’air d’Oronte « La mia letizia infondere…Comme poteva un angelo » extrait des Lombards à la première croisade, avec sa cavatine ébouriffante qui soulève l’enthousiasme du public. Juan Diego Florez, tout en conservant intacts ses moyens de ténor belcantiste qui constituent ses fondamentaux techniques et artistiques, peut désormais, avec cette vigilance qui le caractérise, indéniablement aspirer à des répertoires lyriques nouveaux. L’Orchestre de Chambre de Lausanne, avec l’Intermezzo de Cavalleria Rusticana de Mascagni, le prélude de l’acte III de Traviata et la célèbre Méditation de Thaïs de Massenet (avec comme soliste inspiré le premier violon, François Sochard), s'assure sans conteste les faveurs du public.
En bis, Juan Diego
Flòrez, tout en bavardant entre deux tout en jovialité avec la salle,
s’attaque une nouvelle fois à son cheval de bataille, soit l’air
de Tonio de La Fille du Régiment de Donizetti « Ah ! mes amis,
quel jour de fête ! », enlevé avec une maestria incomparable et
couronné de ses neuf contre-ut confondant. Puis revenant avec sa
seule guitare (qu’il accorde dans un duo facétieux avec le premier
violon), il interprète deux chansons sud-américaines, dont le
fameux « Cucurrucucù paloma » du compositeur mexicain
Tomas Méndez, orné d’aigus filés en voix de tête et tenus
indéfiniment. La soirée s’achève brillamment avec
l’incontournable Granada et l’orchestre retrouvé.
Archive 2004 : profitez du récital de Juan Diego Flòrez au Théâtre des Champs-Élysées en intégralité