Le noble et mélodieux voyage franco-grec de Tassis Christoyannis à l'Opéra Comique
Le récital s'ouvre par celui que Tassis Christoyannis nomme le roi de la mélodie française, Gabriel Fauré. Au bord de l’eau offre d'emblée l'occasion d'admirer la prononciation du baryton grec (seules ses nasales découpées étonnent : les an et les on devenant a-an et o-on). Suivent Les berceaux, la voix balançant légèrement, au rythme de ce corps qui se tourne de chaque côté.
Rendant hommage à ce lieu, le chanteur annonce les mélodies de Jules Massenet, habitué des opéras-comiques. Justement, le port noble du gentleman mâtiné d'un petit sourire mutin sied délicieusement à ce répertoire, y donnant un charme d'opérette. La voix reste placée mais avec douceur, emportant le son dans un élan souple.
D'une grande aisance sur les mélodies de Camille Saint-Saëns, il esquisse quelque danse orientale, doigt levé et genou souple. Même lorsqu'il gronde en fronçant des yeux, la commissure relevée de ses lèvres plissées rappelle que ce n'est qu'un jeu. D'autant qu'il sait passer harmonieusement d'un sombre grave buffa à la voix de tête soulevée, avant d'accompagner les accords du piano en hochant une tête approbatrice et philosophe.
Avec Extase, l'heure est à l'émotion, toujours levée comme le menton, légèrement bombée comme le torse. Une émotion qui se mue en Danse macabre. L'heure est ensuite au Bestiaire de Poulenc, aussi doux que les poils de La Chèvre du Tibet, auguste comme la caravane de Don Pedro d'Alfaroubeira, finissant avec l'immobilité mélancolique et aquatique des écrevisses et des carpes. Poulenc fait passer des larmes au rire en un clin d'œil : L’Éléphant du Jardin des Plantes qui "a fait pipi", chanté d'une voix de garçonnet avant le terrible "dans sa culotte". L'éléphant cède la place au marabout qui se repose sur une patte, grâce à une histoire à dormir debout, avant que la souris ne finisse écrasée par les accords du piano, claquant comme une tapette (sans oublier le drolatique Bengali : il tomba dans la casserole où cuisait la soupe aux choux Et nous l'avons mangé tout cuit, Cuit, cuit, cuit, cuit, cuit, cuit).
Enfin vient l'heure du voyage : « nous partons vers la Grèce » annonce le commandant Christoyannis. D'abord avec les œuvres de compositeurs français dédiés à la Grèce (A Chloris de Reynaldo Hahn et les mélodies populaires grecques de Ravel), menant vers le répertoire de chansons grecques, composées par un grec, avec un chanteur grec... et un pianiste américain. Cet accompagnateur, Jeff Cohen, sait détacher les arpèges avec une grande souplesse et il suit Christoyannis avec une attention intense, s'accrochant à ses soupirs, son jeu et les passages rapides.
La prononciation grecque du chanteur paraît évidente, son articulation est si délicate, les syllabes sont à ce point intelligibles qu'elles semblent presque chantées dans une forme de français. Tassis Christoyannis est chez lui dans ce répertoire et sur cette scène. Longuement acclamé, il prend une nouvelle fois la parole au public qui le redemande : « Puisque vous insistez ! et comme nous avons travaillé trois bis » (« il ne fallait pas le dire », lui rétorque le pianiste souriant). Saint-Saëns revient dans un bain d'émotion : "Si vous n'avez rien à me dire". Le chanteur annonce alors avec un certain suspens le bis suivant, signé d'un compositeur qui a fait "de grands opéras, ballets et des symphonies" : Charles Trenet pour "La Cigale et la fourmi". Si Tassis devra réviser le texte de sa poésie, il la joue à merveille. Enfin, le chanteur offre la chanson napolitaine de Spiridion, son rôle du Timbre d'argent dans lequel il brilla in loco en juin dernier. Il danse alors tout à fait, au rythme du refrain sur lequel le public tape des mains en cadence.