Incontournables Péchés de vieillesse de Rossini par Anna Bonitatibus à La Monnaie
« Comme l’opéra serait merveilleux s’il n’y avait pas les chanteurs ! » disait Rossini. Boutade provocante quand on sait avec quelle passion il a composé pour les artistes de son temps. Compositeur diminué par la maladie à cette époque, il doit déménager à Paris et renoncer à la composition d’opéra avec orchestre. Aussi, l’intimité des salons lui permet-elle de composer des pièces drôles, empruntes d’un savoir vivre à la parisienne, auxquelles il donne l’anodin titre de « Péchés de vieillesse ». Et quelle formule charmante ! Loin des péchés de jeunesse, facilement pardonnables, les transgressions mures et savantes des gérontes, aux limites de la démence sénile, sont d’une richesse musicale rodée et d’une capricieuse légèreté. Digne héritage des folies de la cour, la vie de salon est la parfaite occasion de se donner à un public averti et plus intime.
Entre humour parodique et déclarations d’amour, les facéties musicales sont empruntes de défis. Ses mélodies pour voix et piano sont d’une rigueur impardonnable et demandent une précision contraignante. Pourtant, cela sonne si simple à l’oreille ! Et c’est justement là que tient tout le génie de Rossini, pour son « Ave Maria » par exemple, la partition chantée ne tient que sur les notes sol et la bémol, et ce durant cinq belles minutes. Un dépouillement efficace et sensible, qui ne laisse place qu’à la magie de la mélodie entêtante, nourrie du clavier de Marco Marzocchi. Une légèreté bluffante, incroyablement tactile, presque invisible ! Les notes sont soyeuses et veloutées, piquantes et acides. La discrétion de Marco Marzocchi tient de son habileté au dialogue avec la chanteuse. L’une et l’autre mènent une danse égale et partagée.
Les Péchés de vieillesse trahissent l’amour de Rossini pour la composition au piano, lui qui se qualifiait de « pianiste de quatrième rang ». Ici c’est sur un pied d’égalité total que conversent piano et chanteuse, devant un public averti et amoureux, qui a vu se succéder les plus grands noms : Verdi, Liszt, Donizetti, le peintre Gustave Doré, le banquier de Rothschild. Compositions secrètes, destinées à rester au cœur de ses salons, c’est du compositeur louvaniste Edmond Michotte que Rossini fit l'héritier de ses archives. Ce dernier légua au conservatoire de Bruxelles les partitions, dans l’espoir de constituer un musée Rossini, mais en vain.
Entre chants en langue italienne et française, c'est Anna Bonitatibus qui donne voix aux péchés de Rossini. Cette mezzo-soprano italienne, qui peut s’enorgueillir d’un répertoire très diversifié, s’est forgé une renommée de voix mozartienne au fil des années. Cette anti-diva proclamée se consacre au dur labeur des répertoires oubliés et donne aux compositions un naturel précis et un aspect narratif hors du commun.
Sa voix est puissante, en diapason avec le clavier, déployée, intime, incroyablement volatile. Quel bonheur que de sentir en sa voix les oiseaux chanter pour son interprétation de « La passeggiata ». Quelle finesse et surtout quelle liberté !
Ovationnée pour sa souplesse de chant, d’un très beau naturel, entre chanté et parlé, la voix vibre sur scène et permet au spectateur de se projeter au sein des beaux salons et de sentir une rare intimité avec une artiste, comme avec un compositeur et avec une époque.
Anna Bonitatibus interprète "Una voce poco fa", célèbre aria de Rosine dans Le Barbier de Séville (Rossini) :