La Messe idéale des King's Singers à l'Oratoire du Louvre
The King's Singers, ce sont six chanteurs issus du King's College de Cambridge,
formés originellement en 1968. Deux contre-ténors, un ténor, deux
barytons et une basse : si les visages ont changé au fil du
temps, la formation est restée intacte. Jonathan Howard (l'actuelle
basse) se présente sur scène et annonce le programme de la soirée,
taillé sur mesure pour l'édifice qui reçoit leurs voix. Dans un
excellent français, il détaille et explique le choix de chaque
pièce (pas moins de 16) avant de disparaître pour mieux revenir
accompagné de ses acolytes.
Depuis le fond du Temple, les six chanteurs arrivent en procession, d'un pas lent, munis de tablettes numériques en guise de partitions. Ils ouvrent la marche avec un hymne à l'Avent annonçant la venue du Christ, le plain-chant Rorate cæli desuper (chant médiéval sacré a cappella et à l'unisson). Une fois sur scène, tablettes posées sur les pupitres, les King's Singers enchaînent avec le Pater Noster de Josquin Des Prés (1450-1521). Mains jointes devant eux, ils présentent une posture bien ancrée et montrent un bel équilibre des voix, qui durera jusqu'à la fin du concert. L'équilibre est tel que le spectateur n'a pas l'impression d'être face à six chanteurs indépendants, mais à une véritable couverture sonore où la polyphonie fait monter de très belles harmoniques dans un lieu où ces dernières peuvent se déployer à l'envi. Un régal pour les oreilles. Armé d'un harmonica, l'un des contre-ténors est en charge de donner la note de départ avant chaque pièce, s'assurant une justesse à toute épreuve, et ils ne bougent effectivement pas d'un iota. Après une pièce de Thomas Tallis (1505-1585), ils interprètent le Kyrie de la Missa Papæ Marcelli de Palestrina (1525-1594), où il font montre d'une synchronisation aiguisée grâce à des consonnes percutantes. N'étant pas dirigés, ils ne sont plus qu'un, connectés par la respiration et les heures de répétitions qu'ils laissent entrevoir derrière une performance aussi pointue.
Tournant
les pages du bout des doigts, les chanteurs proposent au public de
l'Oratoire un programme bien fourni, avec des pièces d'Alonso Lobo
(1555-1617), Orlando Lassus (1532-1594), Cristobal de Morales (1500-1553) et William Byrd (1543-1623). Ils voyagent également dans
le temps avec l'Ubi caritas
de Duruflé (1902-1986), extrait de ses Motets sur des
thèmes grégoriens, ainsi que
Das Agnus Dei de
Max Reger (1873-1916) et l'Onnis on inimene
de l'estonien Cyrillus Kreek (1889-1962). Les deux contre-ténors
présentent deux timbres bien différents : le jeune Patrick
Dunachie possède une voix très pure et très résonnante dans les
aigus, semblable à celle des jeunes garçons, tandis que celle de
Timothy Wayne-Wright est plus détimbrée, parfois même voilée,
manquant de puissance au sein de l'ensemble. Le ténor Julian Gregory
utilise une belle voix mixte empreinte de rondeur et bien projetée.
Christopher Bruerton et Christopher Gabbitas, les deux barytons, sont
parfaitement complémentaires et apportent une belle assise à
l'ensemble, bien que Gabbitas (le membre le plus ancien de cette
formation) ait tendance à engorger ses graves. Jonathan Howard est
une basse chaude et lumineuse, semblant atteindre les notes les plus
graves sans aucun effort et sans jamais couvrir ses camarades. C'est
là la force de cet ensemble : leur équilibre parfait leur
permet de créer une palette harmonique exquise, d'une justesse
infaillible.
Ils s'attaquent également au répertoire moderne français avec les Quatre petites prières de Saint François d'Assise de Poulenc (1899-1963), pièce commandée par le neveu du compositeur, moine à Champfleury. La diction reste parfaite, jusque dans les e articulés en fin de mot (dans le respect de la diction poétique). Les Singers rendent aussi hommage à leurs prédécesseurs en interprétant The Seasons of his mercies de Richard Rodney Bennett (1936-2012), composition commandée pour fêter les 25 ans de l'ensemble vocal, ainsi qu'A Finer Music de Nico Muhly (né en 1981) composé pour leur 50e anniversaire. Ancien membre des King's Singers, Bob Chilcott (né en 1955) compose Oculi omnium, également entonné par l'ensemble, qui choisit de reprendre le Rorate cæli desuper, se dirigeant vers la sacristie en procession. Ils referment ainsi leur messe idéale, sous de vifs applaudissements, avant d'entonner des bis issus du répertoire populaire : Some Folks' Lives Roll Easy (Paul Simon de Simon and Garfunkel) et Down by the Riverside (chant de « negro spiritual »).