Gala Mozart contre le cancer au TCE
Le public ouvre le large programme en papier glacé et peut admirer le voyage qui l'attend à travers sept opéras de Mozart, en compagnie de neuf solistes.
Le Concert d’Astrée, ensemble sur instruments d'époque dirigé par Emmanuelle Haïm s'installe avec sourire et application, mais il faudra à l’auditoire un certain temps pour s'habituer aux tirés d'archet secs et râpeux, aux timbres grinçants et au son pâteux avec ses graves sourds et ses cuivres claironnants. Toutefois, la phalange est impeccable sur les rythmes rapides — qui reviennent et repartent fréquemment dans un tempo très fluctuant.
Dans l'esprit d'une soirée de Gala, le concert s'ouvre avec le célèbre "Non più andrai farfallone amoroso" des Noces de Figaro. Le baryton Jean-Sébastien Bou y tend la main pour mendier et esquisse un pas de fandango avant de camper une posture et la voix sur les passages martiaux (esquissant un salut avec deux doigts et la mine de Colombo). Ses médiums et son énergie emplissent bien la salle, qu'il quitte en sautillant.
Jean-Sébastien Bou partage le rôle de Figaro avec Nahuel di Pierro (à retrouver ici en interview). La basse argentine vit son rôle dès les coulisses. Il offre une prestation scénique traduisant les paroles et les émotions du personnage par des gestes et regards expressifs. Sa voix vibre comme ses yeux écarquillés et il monte jusqu'à un aigu très travaillé, extrêmement couvert. Il suffit de dire qu'il impressionne tout autant en Papageno, oiseleur piaillant de plaisir fendu d'un sourire radieux. Pourtant, il suit attentivement une partition dont la majorité du texte se résumé à la syllabe "pa". Tout aussi éloquent est son Guglielmo, amant enflammé feint de Cosi fan tutte, offrant à Dorabella son cœur (dessiné au rouge à lèvres sur la main). Preuve de tout l'esprit instillé à cette version de concert, ce cœur vient s'imprimer sur celui de Virginie Verrez lorsqu'elle serre la main de Guglielmo sur sa poitrine. Fasciné, l'opérateur du TCE en oublie de faire défiler les sur-titres, tandis que Leporello va baiser la main d'Emmanuelle Haïm.
Dans l'esprit d'une soirée de Gala, une merveilleuse pépite vocale et scénique rayonne sur la soirée. Jodie Devos entre radieuse comme le petit Yniold qu'elle vient d'incarner à Bastille, mais il lui suffit de détourner la tête un instant pour présenter l'inquiétude endolorie cherchant le courage. L'intensité du récit se déploie sur l'aria "Parto, m’affretto" de Lucio Silla, sonnant jusque dans les graves, ses harmoniques s'appuyant sur un vibrato qui n'est pas un ornement mais une assurance buccale. Les vocalises sont tour à tour déliées et ondoyantes, très justes et expressives, rendant une noble douleur. Elle finit haletante et endolorie, mais, comme au début de la prestation, retrouve son sourire radieux en un mouvement de tête après les brava. C'est ensuite le menton levé qu'elle aborde l'Everest de l'opéra : "Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen", air de la Reine de la Nuit dans La Flûte enchantée. Techniquement, tout y est. Pour que cet air produise une merveille, il suffit d'en chanter correctement les périlleuses notes, mais Jodie Devos ajoute à la parfaite justesse les marqués et les déliés d'un phrasé intensément dramatique : une performance justement saluée par un tonnerre d'applaudissements.
La mezzo Virginie Verrez a une voix large pour Cherubino et son célèbre "Voi che sapete" : c'est qu'elle a trouvé une grande résonance buccale en resserrant à peine des lèvres entrouvertes. Laura Claycomb et sa crinière rousse fait d'"Al destin che la minaccia" de Mitridate un toboggan de vocalises, glissandi et soufflets. Marie-Adeline Henry passe d'un forte exorbité à la frontière du cri, jusqu'au doux piano flirtant avec la voix de poitrine. La soprano Mari Eriksmoen file un bel aigu, mais peut serrer les dents d'expressivité dans des médiums carnassiers. Les airs de la quatrième soprano, Magali Léger la trouvent en difficulté en-dessous des aigus vibrés, sa voix légère ne trouvant pas les résonances du plexus.
Le ténor Kresimir Spicer a tenu à chanter bien que souffrant, cela se voit et s'entend certes, mais il sait convoquer son physique puissant pour donner de la voix, projetant ses phrases avec force. Il fait sursauter le public et même un violoncelliste qui en fait tomber son archet, avant d'adoucir le timbre en des passages veloutés.
Le Finale de l'Acte IV des Noces offre un tutti plein d'énergie. Le bis "Fortunato l'uom che prende" de Cosi invite à prendre les choses du bon côté (beau message en cette soirée). Enfin, le Finale de La fausse jardinière est donné en ter (ou en terre), avec un volume sonore auquel répondent les applaudissements du public, pour la bonne cause.