Degout et Mahler contenus au TCE
Mozart célèbre son entrée à la loge des francs-maçons de Vienne Zu Wohltätigkeit (À la bienfaisance), au grade d'apprenti avec sa Musique funèbre maçonnique qui ouvre le concert. Malgré des soucis de justesse sur les doubles notes des cuivres, l'Orchestre National de France déploie les roulis d'un son ample. Programmer ce morceau juste avant le lyrisme de Mahler peut sembler un choix étonnant : certes, Emmanuel Krivine tire le son de Mozart vers le post-romantisme, mais l'installation des chaises supplémentaires nécessaires à l'orchestre mahlérien demande plus de temps que le morceau de Mozart lui-même. Le concert étant diffusé en direct sur France Musique, un hommage peut être rendu aux présentateurs radiophoniques qui doivent savoir meubler.
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Une fois bien installé, l'orchestre célèbre les sublimes mariages de timbres, cor et hautbois, harpe et basson par-dessus tout. Sous la baguette de Krivine, tous les instruments ont voix au chapitre. Les violons savent se poser en contrepoint diaphane, accompagnant la mélodie de timbres et de couleurs. Surtout, Krivine et son orchestre entier savent se suspendre aux lèvres et au souffle du chanteur Stéphane Degout. Le baryton est reconnu pour la qualité de sa prononciation française, mais son allemand est tout aussi appliqué, renforçant un chant qui se définit par son intensité contenue. Le puissant soutien abdominal retient des éclats intérieurs. C'est sur cet effet de tension maîtrisée qu'il construit ses lignes et pose sa voix, s'élevant sur la pointe des pieds à chaque montée de phrase. L'interprète rend ainsi la puissante douleur du poète Friedrich Rückert ayant perdu ses deux enfants en 1833 et 1834, contenue en des paroles finales, hallucinées et apaisées :
« Par ce temps, par cette averse, par cet orage, Ils reposent comme dans la maison de leur mère, Effrayés par nulle tempête, Protégés par la main de Dieu. » Mahler Kindertotenlieder (Chants pour des enfants morts)
Nous n'en sommes qu'à la fin de la première partie, mais les longs applaudissements battus en cadence rappellent pourtant par trois fois Stéphane Degout, qui semble s'excuser devant tant d'enthousiasme, quittant la scène pour ce soir avec un salut modeste et rapide. Après la pause, l'orchestre croît encore en cuivres et en volume pour Le Chant des Parques (1882) de Brahms. Le maestro ralentit le tempo pour mieux lancer de puissants accents montrant rétrospectivement toute la retenue dont avait su faire preuve l'ensemble pour s'harmoniser avec la subtilité du chant soliste.
Très homogène, en son sein comme avec l'orchestre, le Chœur de Radio France accomplit, tel un pupitre indissociable de la phalange, les 20 minutes de musique qui représentent son engagement de la soirée. Krivine n'est pas le dernier à les féliciter et il va escorter sur le devant de la scène la chef de chœur Sofi Jeannin.
La Symphonie « Inachevée » de Schubert n'est pas vocale, mais les violoncelles et la clarinette chantent sur un frémissement orchestral accélérant et s'intensifiant. Après de chaleureux rappels, Krivine dédie le concert « À la mémoire de quelqu'un qui a fait semblant d'être mort, Jean Rochefort. »