Les Quatre Saisons de Vivaldi clôturent le Festival d'Ambronay
Professeur de violon au Pio Ospedale della Pietà, institut de charité pour jeunes filles, Antonio Vivaldi (1678-1741) profite d’avoir un ensemble de musiciennes de qualité pour composer des concertos, pour lesquels il reste aujourd’hui le plus connu. Il l’est particulièrement par ses quatre concertos pour violon Le Quattro Stagioni opus 8, qui décrivent chacun une saison de l’année. Ces œuvres ouvrent le recueil Il cimento dell’armonica e dell’invenzione, édité à Amsterdam en 1725. Leurs amusants mimétismes (chants d’oiseaux, aboiements, pluie, orage) intriguent le public européen de l’époque. Toutefois, après ce premier moment de célébrité, les concertos tombent dans l’oubli jusqu’en 1921 où ils sont redécouverts et rejoués. Plus tard, le violoniste Louis Kaufman les enregistra et, par ses nombreuses apparitions cinématographiques, les Quatre Saisons deviennent familières du grand écran puis des publicités. Diffusées ainsi, les œuvres séduisent à nouveau le grand public, par leur vitesse d’exécution – toujours plus rapide –, leurs contrastes typiquement baroques et leur mimétisme d’éléments qui sont bien connus de tous.
Ce soir, le violoniste russe Dmitry Sinkovsky propose sa version de ces œuvres si connues, avec son ensemble La Voce Strumentale. De son violon, il donne le départ du Concerto n°1 en mi majeur « La primavera » (Le Printemps), jouant évidemment sa partie de soliste et (dans les tutti) le plus souvent la partie de violon 1, parfois la partie de violon 2 ou d’alto, pour leur donner l’impulsion et le caractère qu’il recherche. Contrairement aux attentes possibles, le tempo n’est pas exagérément rapide, et l’ensemble fait tout de suite preuve de contrastes dans les nuances. Après le deuxième mouvement Largo, où le soliste chante au-dessus d’un tapis tendre mais mouvementé des violons alors que les aboiements des altos résonnent, la Voce Strumentale s’engage dans un Allegro. Les premiers rangs peuvent entendre des sons parasites, des cordes pincées ou saturées, mais les rangs plus en retrait entendent certainement un jeu puissant et sonore.
Les contrastes soudains du premier mouvement Allegro non molto du Concerto n°2 en sol mineur « L’estate » (L’Été) sont encore plus marqués que précédemment, tant dans les tempi que dans les nuances. Certains crescendi sont même saisissants. Dmitry Sinkovsky use d’effets d’archet, jouant par exemple très sul tasto (sur la touche du violon, d’où un son très voilé, faible en harmoniques). Très communicatif, il vit son jeu, jusqu'à regarder un oiseau imaginaire voler au-dessus du public alors qu’il imite son chant au violon. Il dialogue aussi en toute complicité avec le violoncelle et le luth. C’est alors que l’ensemble entraîne soudainement les auditeurs dans un Allegro vertigineux de vitesse et de son. Vient ensuite un reposant Adagio, où le violoniste montre une technique, subtile mais efficace, de vibrato/trille tout à fait étonnante, en sollicitant la sympathie des cordes et les vibrations de la touche : jouant de son archet sur une corde, il fait un trille lente et décidée sur une corde voisine, d’où une ondulation toute particulière. Dans le très énergique Presto finale, le son est volontairement sale, saturé d’harmoniques, les cordes claquent –particulièrement celles des basses– et le bois des archets frappe les cordes. Dmitry Sinkovsky abuse d’effets, parfois très Rock’n’Roll comme des glissandi ou des vibratos qui, sans doute, peuvent déplaire à certains.
Pour le début du Concerto n°3 en fa majeur « L’autunno » (L’Automne), le chef pose son violon pour impulser le caractère tout nouveau par rapport aux précédents. Il est certain que sa direction est plus précise depuis son violon, mais les musiciens sont d’une grande attention et le regard du chef suffit à comprendre ses intentions. Après l’Adagio molto, quasi concerto pour clavecin sur tapis de cordes, Dmitry Sinkovsky impressionne par sa virtuosité dans l’Allegro final, au jeu parfois country. Par son regard et ses sourires, le spectateur comprend qu’il prend un plaisir malicieux à provoquer et à étonner son public. C’est qu’au-delà des jeux et effets instrumentaux, le musicien russe joue avec les tempi, au risque de perdre l’auditeur dans ses (nombreuses) habitudes d’écoute de ces Quatre Saisons. C’est particulièrement le cas pour le Concerto n°4 en ré mineur « L’inverno » (L’Hiver) où, entre les première et troisième parties du premier mouvement, glaçant par des effets sul ponte (sur le chevalet, où le son est rempli d’harmoniques et ainsi très acide voire grinçant), le tempo est soudain rapide, comme une apparition joyeuse de la vie en plein milieu de la steppe enneigée – peut-être un rapide souvenir ? Ces effets plaisent fortement au public, la fin de cette première partie étant de suite accueillie par de spontanés bravi.
Comme il était fréquent de pratiquer plusieurs instruments à l’époque baroque, le violoniste veut aussi partager dans ce programme une autre de ses passions et de ses talents : le chant. C’est de sa voix de contre-ténor qu’il interprète Cessate, omai cessate, une des plus célèbres parmi les 500 cantates du « prêtre roux ». Sa diction est soignée, sa technique vocale maîtrisée, les aigus sont agréablement filés et les médiums très jolis. Les graves sont toutefois un peu plus fragiles par moments, sauf lorsque qu’il passe en voix de poitrine pour produire une jolie voix de contralto. Juste avant le da capo (reprise) du premier air « Ah, ch’infelice sempre » (Ah ! que je sois toujours malheureux), Dmitry Sinkovsky reprend brièvement son violon pour improviser et orner la transition instrumentale. Toujours fier et communicatif, par ses gestes et ses regards, le chanteur reste moins provocant que l’instrumentiste.
Comme une pause pour le soliste violoniste-contre-ténor, Luca Pianca est pour un temps le soliste pour ce Concerto pour luth en ré majeur, composé dans les années 1730. Le luth n’est pas un instrument très sonore, lui qui est facilement couvert par le clavecin. Ses interventions accompagnées du seul violoncelle – musicien excellent – sont plus équilibrées. La faible intensité sonore de l’instrument est flagrante dans les oppositions avec le ripieno (communément, le reste de l'orchestre), pourtant réduit à deux violonistes (les fougueux Dmitry Sinkovsky et Elena Davydova). Dans le long et très méditatif Largo, l’accompagnement pianissimo en pizzicati permet de mieux apprécier le son du luth.
Le programme de la soirée se termine avec le Concerto en ré mineur écrit pour Johann Georg Pisendel, violoniste de l’orchestre de la cour de Dresde et ami de Vivaldi. Les mélodies du violon soliste y sont particulièrement lyriques, proches d’une partie pouvant être chantée. Le premier mouvement Allegro fait découvrir une très belle œuvre qui ne jouit malheureusement pas de la même notoriété que les concertos de la première partie. Il est toutefois dommage de remarquer que les violons, particulièrement les violons 1, n’ont absolument pas les mêmes places et intentions d’archet. Le deuxième mouvement Largo est particulièrement émouvant, Dmitry Sinkovsky s’amusant parfois avec des ornements aux allures très romantiques. Enfin, le troisième mouvement Allegro est très brillant, avec de soudains accents et une impressionnante, voire insolente, virtuosité du violon solo.
Encouragé par les nombreux bravi, l’ensemble interprète en premier bis les très belles variations du Concerto grosso en ré mineur « La Follia » de Francesco Geminiani. Les musiciens profitent de cette œuvre pour démontrer encore une fois toutes leurs capacités d’effets et de virtuosité : le violoncelle y est particulièrement alerte. Les instrumentistes arrachent le son de leurs cordes ou font preuve d’effets sul tasto intrigants ou de spiccati (léger rebond de l'archet) très incisifs. La contrebasse sonne parfois comme des timbales. Dmitry Sinkovsky ne peut s’empêcher de rejouer ensuite en deuxième bis le mouvement final du « Printemps », exhortant ses musiciens à la vitesse et à la nervosité. Les effets sont alors exagérés, les contrastes aussi. Les pizz des basses sont jouées à la Bartòk (claquant contre la touche) et les accents sont terribles. Forcément, le public est très enthousiaste devant tant de démonstration et, pour la première fois du Festival, il se lève pour saluer le musicien et son ensemble. C’est alors qu’il offre un nouveau bis en tant que chanteur : le superbe et très émouvant air « Dove Sei, amato bene », extrait de Rodelinda de Haendel. Sous les acclamations, Dmitry Sinkovsky reprend une fois encore son violon pour le glaçant premier mouvement de « L’Hiver ». Après un concert ayant tout de même doublé sa durée prévue (2h30 au lieu de 1h15 !), le public redemande encore de ces moments remplis de surprises.