Nuit et Mystère Cosmiques à Royaumont
Le chant grégorien O Magnum mysterium ouvre et referme le programme dans les versions polyphoniques de Tomás Luis de Victoria puis de Francis Poulenc. Ce voyage depuis Le Siècle d'or espagnol jusqu'au néo-mystique du XXe siècle est à l'image de la durabilité abbatiale de Royaumont et des autres voyages de ce programme intitulé "Nuit et Mystère" par l'Ensemble Cosmos, dont il suffit de dire qu'il mérite bien son nom.
Chaque pupitre d'un parfait unisson ne laisse entendre qu'une voix et chacune de ces voix se marie avec les autres pupitres dans une parfaite harmonie. L'excellente justesse s'appuie sur une prononciation du même acabit et tout aussi expressive. Le latin parfaitement articulé est chaud en bouche, lumineux ou sombre suivant les Lux ou mysterium. Surtout, les ou jettent des voiles de frissons nocturnes. Les deux chaleureuses et subtiles basses infusent les registres des deux ténors, deux altos (masculins) et quatre sopranos. Scindant leur arc-de-cerle, les 10 chanteurs multiplient les répartitions géographiques, notamment en deux quintettes, envoûtant casque stéréophonique découvrant le délicat et flûté orgue positif de Loris Barrucand. Tout aussi appliqué, dans son jeu comme son accordage, la viole de gambe introduit et soutient les lignes du plain-chant (récitation chantée à l'unisson par les moines au Moyen-Âge).
Le voyage nocturne et mystérieux se poursuit du XVIe au XXIe siècle, mais les voix buttent sur les autres langues du programme (l'anglais de Purcell et Pearsall, l'allemand de Schubert, Brahms et Rheinberger). Vibrantes ensemble, les voix peinent dans les interventions solistes, les envolées lyriques sonores déployant certes un volume admirable, mais abolissant tout mystère.
Little lamb, who made thee
Dost thou know who made thee,
Mais surtout, par-dessus tout, au-delà de tout il y a The Lamb de John Tavener. La prononciation anglaise inintelligible de l'Ensemble n'empêche nullement la mélodie à ce point sublime de parfaitement se déployer. L'octave grégorienne à peine variée d'une seconde et subtile voix de basse fait fondre le public. En voici une interprétation par le Chœur du King's College de Cambridge en 1998. Âmes sensibles ne pas s'abstenir :