Sombre Cosi fan tutte à Lille
L’Opéra de Lille reprend la production de Christophe Honoré de Cosi fan tutte
Ruzan Mantashyan et Virginie Verrez dans Cosi fan tutte (© Simon Gosselin)
Les deux sœurs, Fiordiligi et Dorabella, sont interprétées par Ruzan Mantashyan (déjà fort remarquée la saison passée dans Il Signor Bruschino à Massy) et Virginie Verrez, qui rendent ce lien de parenté vocalement crédible : leurs timbres et leurs phrasés s’accordent à merveille, produisant de jolis duos, sensuels, au cours desquels elles exposent leurs vibratos parfaitement ondulés. La première dispose d’une voix souple et agile au timbre clair, fine et aérienne dans l’aigu, joliment couverte (mais parfois plus tendue) dans les graves. Son phrasé est empreint d’une grande subtilité. La seconde dispose d’une voix ample et tranchante, surdimensionnée pour l’Opéra de Lille (mais qui fera fureur lors de ses débuts à Bastille en fin de saison) et qu’elle doit par conséquent apprendre à nuancer. Sa voix ronde et sucrée offre un bel et solide ancrage aux ensembles. Ces deux comédiennes savent émouvoir et faire frissonner. Elles pourront en revanche progresser encore pour rendre leurs rires plus naturels.
Virginie Verrez et Anicio Zorzi Giustiniani dans Cosi fan tutte (© Simon Gosselin)
Chez ces messieurs, c’est Anicio Zorzi Giustiniani qui campe le rôle de Ferrando, qu’il reprendra d’ailleurs en novembre à Versailles (réservations ici). Le ténor, d’abord timide et effacé dans son jeu, gagne en confiance au fil de la représentation. Ses aigus clairs à l’intense vibrato rayonnent. Il couvre ses médiums, ce qui leur confère un timbre moiré du plus bel effet. Son phrasé exprime les intentions du compositeur autant que ceux du librettiste, comme le montre son changement d’intonation au moment du passage en mode mineur de son air du premier acte. Quelques défauts de justesse devront toutefois être effacés pour que la prestation soit totalement convaincante. De son côté, Alessio Arduini bâtit un Guglielmo fait d’ombre et de lumière. Violent et pervers, il trompe sa fiancée sans vergogne mais ne décolère pas lorsque cette dernière succombe à la tentation. Pour autant, il se prête au jeu de Don Alfonso avec un large sourire et joue son rôle avec facétie. Le puissant baryton peine parfois à stabiliser sa ligne vocale, mais son timbre chaleureux lui permet d’offrir de beaux airs.
Virginie Verrez et Alessio Arduini dans Cosi fan tutte (© Simon Gosselin)
Enfin, le couple manipulateur est formé par Nicolas Rivenq et Laura Tatulescu. Le baryton est reconnu internationalement pour son interprétation de Don Alfonso : cela s’explique par son timbre lumineux et sa capacité à jouer le cynisme et la misogynie du personnage, dont il porte l’ironie dans le regard. Sa voix offre une belle basse au trio des Voiles (malheureusement entonné hors scène). La soprano incarne une Despina espiègle et au grand pouvoir comique, bien qu’elle doive chanter son premier air, si piquant, tout en jouant le dégoût révolté, son personnage subissant alors une agression sexuelle.
Cosi fan tutte par Christophe Honoré (© Simon Gosselin)
L’Ensemble Le Concert d’Astrée est dirigé par Emmanuelle Haïm d’un geste précis : la chef chante les paroles en même temps que les solistes, ce qui lui permet de marquer les respirations afin d’accorder la ligne mélodique de l’orchestre à celle des chanteurs. Malgré cela, le finale de l’acte I souffre de décalages rythmiques entre les solistes, que la mise en scène fait courir en rond sur un plateau trop petit, rendant la vision d’ensemble brouillonne. A tout moment, Haïm adapte les nuances afin que les solistes ne soient jamais couverts par l’orchestre. De fait, les équilibres, que ce soit entre la scène et la fosse ou entre les pupitres, sont remarquables, ce qui vaut à l’ensemble un début de standing ovation au moment des saluts.