Pour ce concert, le Festival d’Ambronay investit l’Auditorium de Lyon. La ville des lumières est justement jumelée avec la ville allemande de Leipzig, où Jean-Sébastien Bach (1685-1750) officia en tant que maître de chapelle de l’église Saint-Thomas. C’est aussi son 17^ème successeur à ce poste prestigieux, Gotthold Schwarz, qui dirige l’œuvre de ce soir, interprétée par ses ensembles : le Bach Consort Leipzig et l'Orchestre baroque de Saxe.

La Messe en si mineur est une œuvre majeure de Bach. Il s'agit de la composition musicale d’inspiration catholique par excellence, par sa structure précise suivant le déroulement de l’office dominical et l’utilisation du latin. Pourtant protestant, Bach en reçoit initialement la commande du Prince électeur de Dresde, monarque catholique d’une cité abritant les deux confessions chrétiennes. C’est ainsi que la Messe en si mineur est considérée comme une messe œcuménique : catholique par sa forme et luthérienne par son esprit. La programmation de cette œuvre semble alors évidente pour participer aux festivités des 500 ans de la Réforme, dans lesquelles s’inscrit aussi le concert.

Le travail de Bach ne s’est pas fait d’une traite : il est le fruit de plusieurs années (près de 25 ans) et utilise fréquemment des extraits arrangés de ses ouvrages antérieurs (procédé dit de la parodie : de nouvelles paroles sont mises sur une musique connue). Quatre grandes parties structurent l’œuvre : Missa ; Symbolum Nicenum ; Sanctus ; Osanna, Benedictus, Agnus Dei, Dona nobis pacem. Publiée en partie seulement en 1833 et intégralement en 1845, la Messe en si mineur ne fut créée que le 20 février 1834 à la Singakademie de Berlin, soit 84 ans après la mort du compositeur.

Kyrie de la Messe en si mineur de Bach, interprété par le Concert des Nations, sous la direction de Jordi Savall (2011).

Les quatre premières mesures du Kyrie, très solennelles, permettent tout de suite d’apprécier la qualité du chœur, équilibré et homogène. Cependant, dans la grande salle de l’Auditorium de Lyon, la musique baroque ne sonne pas avec la puissance que l’on aurait pu attendre. Cette puissance, l’auditeur peut la ressentir grâce aux brillantes trompettes et timbales dans le Gloria, amenant majestueusement la tonalité de ré majeur - tonalité plus éclatante que celle de si mineur et qui s’imposera davantage à la suite de la messe. L’orchestre et le chœur possèdent toujours un son et un discours musical très propres et impeccables, dans une restitution fidèle et respectueuse de l’œuvre. Bien qu’ils ne soient pas nombreux, les deux violoncelles et la contrebasse – agréablement investie – donnent une assise qui soutient l’homogénéité de l’ensemble. Tout cela est assurément possible grâce à la direction de Gotthold Schwarz, parfois très discrète, d’autres fois plus active : douce, discrète, souple et légère avec les choristes, vive et autoritaire, voire un peu lourde et ample, avec les instrumentistes – particulièrement les cordes. Celles-ci font pourtant preuve de très jolies couleurs et de finesse, notamment dans le superbe air de l’Agnus Dei. Les bois ne sont pas en reste, notamment avec un beau dialogue du hautbois d’amour avec le chanteur alto lors du Qui sedes, ou une flûte apaisante – mais sonore – pour le Benedictus du ténor.

Les solistes sont issus du chœur : indéniablement excellents artistes de chœur et musiciens, leurs timbres se marient parfaitement lors des duos, avec une diction identique, comme leurs intentions. Mais ils ne sont pas solistes : la projection reste très souvent fort limitée. La voix de la soprano Hanna Zumsande, par la hauteur de ses lignes vocales, passe évidemment un peu plus naturellement. La seconde soprano Susanne Krumbiegel est moins audible, malgré certaines très belles intentions. Le ténor Tobias Hunger, la tête restant beaucoup dans sa partition, ne partage sa voix qu’avec les auditeurs assis à l’orchestre. S’élevant parfois sur ses pointes de pied pour quelques passages plus aigus, s’accompagnant d’autres fois de la souplesse de ses genoux, il semble surtout manquer d’ancrage au sol pour lui donner plus de puissance et de présence. Tobias Berndt, souffrant, se voit remplacé par deux autres basses : Philipp Goldmann chante le Quoniam tu solus sanctus, avec un joli timbre et une bonne diction. Tobias Ay chante le Et spiritum Sanctum, avec une projection bien meilleure et donc plus appréciable, cependant cet effort augmente ses défauts vocaux et ne lui permet pas de montrer véritablement son timbre. Entre être entendu du second balcon ou rester dans son confort, chaque soliste semble avoir fait son choix. Mais ce serait oublier l’excellent David Erler pour la partie d’alto : projection, vocalises maîtrisées, expressivité, jolies couleurs et clarté du timbre : tout est appréciable dans son chant. Son Agnus Dei, air suffisant déjà par lui-même, reste encore dans les têtes bien après le concert. Le public a su apprécier un concert de grande qualité, applaudissant chaleureusement les solistes, chanteurs et instrumentistes, mais surtout le chœur, assurément excellent.