L'Italienne à Alger fait escale à Montpellier : attachez vos ceintures !
Ponctué de délicats, presque inaudibles coups rebondis, l'Orchestre national Montpellier Occitanie introduit un doux hautbois et un cor savamment délié. Le tempo est d'abord globalement lent, puis il s'accélère sur la pulsation martelée par les percussions, notamment un grand bâton chargé de grelots et frappé sur le sol (l'une des touches d'exotisme ayant fasciné l'époque de Rossini). La phalange suit bien le chef Michael Schønwandt (chef principal du lieu depuis deux ans, à retrouver ici en interview, et dont la Directrice Valérie Chevalier annoncera en exclusivité à la fin de la soirée le renouvellement pour trois années supplémentaires). Il varie le tempo pour construire un discours d'accelerandi et rallentandi rossiniens. Le temps de répétition a visiblement (et audiblement) bien servi à ce travail, légèrement au dépend des équilibres de timbres (une flûte quelque peu perçante qui surgit, un basson qui s'enfouit, un cuivre grinçant), mais ces détails n'empêchent pas le public d'applaudir l'ouverture. Par la suite, la fosse roule sur les ternaires, sautille sur les binaires, sachant encourager les chanteurs en volume.
Côté voix justement, les débuts sont très inquiétants (les deux amoureux fort enrhumés ayant décidé de maintenir leur prestation sans annoncer leur indisposition au public !), mais les chanteurs se chauffent peu à peu, ils prennent progressivement leurs marques scéniques comme on apprivoise une terre hostile et leurs marques vocales, portés par les ensembles que Rossini dissémine avec génie.
L'Isabella d'Hanna Hipp n'est pas la plus sonore des mezzos qui soient dans les graves et médiums, mais elle tient l'attention de l'auditoire par sa musicalité suivant avec souplesse la ligne musicale, ses aigus rayonnant, quelques graves de poitrine presque sauvages et sa présence scénique (un début d'effeuillage avant de s'humecter bras et jambes : la sensualité d'une Carmen).
Hanna Hipp (© Marc Ginot)
Marquant les jours depuis son crash sur la paroi intérieure du réacteur dans lequel il s'est réfugié, Lindoro a la voix d'Alasdair Kent, voluptueuse et douce dans le médium et les aigus mixés, soulevés, allégés à la frontière de la voix de tête, ses quelques tentatives de voix pleine déraillant dans l'aigu. Le souffle, l'incarnation et la musicalité ne lui font pourtant pas défaut, mais les délicats et perpétuels changements de registre ne rendent aucun service à ses ornements.
En Mustafà, bey d'Alger, Burak Bilgili ravit dans les récitatifs avec son bel italien, mais son chant qui devrait être le délice de la basse bouffe italienne est d'abord un vrombissement, un yo-yo vocal balayant les notes sans dessiner de ligne.
Burak Bilgili, Alasdair Kent et Armando Noguera (© Marc Ginot)
Pauline Texier en Elvira tire d'abord vers un aigu criard, exagérément vibré et dramatisé, mais elle trouve ensuite un bien meilleur soutien vocal, se rassurant dans le medium et confortant Isabella avec soin. De la même manière, les graves de Marie Kalinine en Zulma sont d'abord son seul point d'ancrage, mais ils mènent bientôt à bon port et à l'assise vocale.
L'amant trompé Taddeo d'Armando Noguera présente d'emblée un bel équilibre vocal, avec résonances du plexus et des tempes. Une voix équilibrée, ancrée avec des harmoniques et une belle accroche, portée par un souffle constant. Agile, il va au-devant des rythmes rapides et rend au public l'énergie du chef, conservant son noble port, même s'il traverse principalement la scène en caleçon ou dans le costume déplumé de Kaïmakan (lieutenant indigène).
Alasdair Kent, Hanna Hipp et Burak Bilgili (© Marc Ginot)
Un murmure d'étonnement parcourt d'abord le public qui découvre la carlingue d'un avion, aménagée par des sauvages aux masques tribaux avec des échafaudages de bambou. La mise en scène tirera profit de ce décor fil rouge : avec canot et gilets de sauvetage, masque à oxygène tombant du plafond, chariots de plateaux-repas, couverture de survie qui sert de cape pour le Pappataci Mustafà. On s'espionne à travers des hublots, danse sur une aile fumante et tout le monde s'accroche à sa ceinture sur les sièges d'avion (avec en effet de fortes turbulences rythmiques).
L'Italienne à Alger par David Hermann (© Marc Ginot)
L'aisance vocale d'Isabella en appelle finalement à la vaillance des italiens. Les sauvages se défont de leurs masques et oripeaux. Ils se révèlent être les italiens naufragés (avec pilotes et stewards). Le miracle de l'opéra atteint alors à l'absurde lorsque les italiens fuient dans un "avion" sans ailes, au moteur fumant déglingué, les trois-quarts de la carlingue arrachée, le tout sur un bruit électrique de moteur qui gâche les dernières harmonies de l'orchestre, à la différence des bravi sonores du public.
L'Italienne à Alger par David Hermann (© Marc Ginot)