Simon Keenlyside à l'Opéra Garnier : un Anglais à Paris
Cette année, l'automne est arrivé avec un peu d'avance, et les virus qui l'accompagnent également. Le baryton anglais arrive sur scène muni d'une bouteille d'eau, se mouche et se racle la gorge à quelques reprises au fil du concert, ce qui porte à croire qu'il fait partie des premières victimes du rhume cette saison. Sa voix, en revanche, ne semble pas vraiment affectée, puisqu'il délivre un récital de qualité au goût du public parisien.
Simon Keenlyside (© Uwe Arens)
C'est un programme « de saison » que propose Simon Keenlyside : le public se voit transporté au fil de mélodies mélancoliques et lancinantes, illustrant l'obscurité grandissante de l'automne. Le concert s'ouvre avec une oeuvre du finlandais Jean Sibelius. Célèbre pour ses symphonies, ce dernier a également composé un grand nombre de pièces vocales dans diverses langues : le baryton choisit de présenter cinq de ces Lieder, en finnois et en allemand. Dès les premières notes de piano, le public se trouve face à une peinture impressionniste. Les effets de cloches et les arpèges évoquent des paysages nordiques et bleutés, culminant avec le mélancolique « Die stille Stadt ». Keenlyside montre dans cette première partie sa maîtrise des langues étrangères, produisant des voyelles claires et des consonnes percutantes. Ses médiums sont beaux, les nuances profondes : les fortissimi ne manquent pas de puissance et les pianissimi s'avèrent d'une extrême délicatesse. S'il a tendance à engorger tous ses graves, ses aigus sont au contraire fluets et légers, le montrant en pleine possession de sa voix de tête. En revanche, son interprétation reste minimale, le baryton se contentant de faire quelques pas autour de son pupitre, et ne semblant pas quoi faire de ses mains.
Revenant à un répertoire plus familier, Keenlyside s'attaque au Schwanengesang (Le Chant du cygne) de Schubert, qu'il connaît visiblement mieux puisqu'il se libère de sa partition et se tourne davantage vers le public. Les gestes ne sont toujours pas assurés, et illustrent plus les variations de la mélodie que le texte en soi : il faut attendre la fin du cycle pour que des regards et des expressions faciales se joignent à sa performance. Il enchaîne un solaire « Der Wanderer » et un léger « Das Fischermädchen », suivis d'un « Abschied » plus enjoué et insouciant. La complicité entre les deux musiciens est bien présente, quoique discrète : attentif au moindre rubato (souplesse rythmique), le jeu délicat du pianiste met parfaitement en valeur la voix du baryton.
Après l'entracte, les deux Britanniques s'invitent chez leurs compatriotes avec des chants composés au début du XXe siècle. Les mélodies des Songs of Travel de Vaughan Williams ne sont pas sans rappeler le cycle voyageur schubertien, où amour et paysages s'entrelacent. La diction est (sans surprise) excellente, mais Keenlyside semble souffrir de quelques faiblesses de voix. Une mélodie d'Arthur Somervell laisse ensuite place à trois Lieder de Peter Warlock, rappelant les musiques anciennes qui, autrefois, avaient donné au répertoire anglais ses lettres de noblesse. Faisant un détour par l'Australie, les musiciens nous emmènent à la découverte de Percy Aldridge Grainger et de sa musique évoquant les pièces traditionnelles populaires : bouteille d'eau à la main et l'autre dans la poche, Keenlyside incarne soudainement un personnage en état d'ébriété, déclenchant les rires du public.
Pour clore cette soirée, le baryton pénètre dans le répertoire français avec « Tel jour, telle nuit » de Poulenc, cycle datant de 1937. Illustrant les différentes ambiances du programme, les mélodies s'enchaînent mais ne se ressemblent pas : l'humeur y est tantôt militaire, tantôt austère, parfois joyeuse, mais toujours intense. Ses aigus restent fluets et aériens, quasiment détimbrés et dépourvus de vibrato. Soulignons également son français très convainquant (alternant les « r » roulés et gutturaux). D'une mélodie à l'autre, la tendresse et la colère s'affrontent jusqu'au triomphe de la mélancolie, dans un généreux « Nous avons fait la nuit ». Ce n'est pas moins de trois rappels qui sont demandés à l'interprète, qui opte alors pour Schubert, expliquant en un français approximatif (mais très touchant) qu'il s'agit de son répertoire de prédilection. Au fil de la soirée, c'est un sentiment d'humilité qui se dégage du baryton, qui semble presque s'excuser de fouler cette scène mythique, où il prouve néanmoins qu'il a sa place.