Le Couronnement de Poppée au Festival de Menton : l'opéra sur le parvis Saint-Michel
D'aucuns pourraient deviner quelque coïncidence personnelle dans l'intention de Paul-Emmanuel Thomas, le directeur artistique du festival, de faire venir l'opéra à Menton – il est marié à la soprano Catherine Hunold, au demeurant davantage chez elle avec Wagner que dans le baroque italien. Mais le travail du chef d'orchestre à la tête d'une institution qu'il a reprise en 2013 contredirait aisément cette seule lecture réductrice. Non content de lui redonner l'aura qu'elle avait quelque peu perdu à la suite de la succession d'André Borocz, le fondateur, il s'attache à élargir le répertoire du rendez-vous azuréen, et la conquête du lyrique, au-delà du récital d'airs virtuoses, y participe. Satire politique et sentimentale d'une redoutable vitalité, Le Couronnement de Poppée de Monteverdi constituait sans doute un ouvrage idéal pour une première soirée d'opéra – en concert, avec quelques éclairages sur la façade de l'église – sur le parvis de la basique Saint-Michel, tant en terme de dynamique théâtrale que de contraintes d'effectifs.
Pas assez confiant dans l'acoustique pourtant excellente des lieux, Jean-Christophe Spinosi a demandé d'installer une rangée de micros sur le plateau pour permettre une amplification vers les tribunes – qui perturbera passablement l'équilibre entre orchestre et voix. L'habituelle énergie du baroqueux français se fera reconnaître, encourageant la dizaine de pupitres de son Ensemble Matheus à des accords de couleurs et de dynamiques pour éveiller constamment l'intérêt du spectateur, parfois au-delà de la satiété.
Émilie Rose Bry est Poppée (© Ch. Merle)
Celui-ci retiendra d'abord un plateau jeune et resserré : à l'exception du couple impérial, les solistes incarnent également les petits rôles de caractère qui font le sel de l'ouvrage. En Poppée, Emilie Rose Bry (déjà Poppée en avril à Versailles et qui y sera Fraquita dans Carmen) affirme une sensualité complice, portée par la chaleur ronde de son timbre. La séduction exercée sur le Néron de David DQ Lee se comprend aisément et prend un relatif ascendant sur un contre-ténor très adulescent. Le duo final réussit cependant l'alliage de personnalités vocales passablement divergentes.
Émilie Rose Bry et David DQ Lee (© Ch. Merle)
Benedetta Mazzucato fait preuve d'une appréciable versatilité, passant de la noble retenue d'Octavie à l'innocence de La Demoiselle, sans oublier l'insolence de Fortune. Deux autres gosiers méritent l'attention : Filippo Mineccia, Othon doué d'un évident sens du style et qui assure également l'intervention d'un des familiers du prince et Zoe Nicolaidou, Amour et Le Valet d'une délicieuse fraîcheur. Retenons également le babil d'Anna Sohn, Drusilla, ainsi que La Vertu et Pallade.
L'Ensemble Matheus accompagne les solistes (© Ch. Merle)
Le reste de la distribution se révèle honnête. Si, outre une apparition en tribun, Matthieu Toulouse se montre un Sénèque solide et une basse prometteuse, les compositions comiques souffrent du manque de direction d'acteurs. Cela s'avère sensible dans l'Arnalta parfois appuyée de Raffaele Pe – par ailleurs soldat et tribun – mais aussi dans le Lucain et la Nourrice confiés à Francisco Fernandez Rueda, qui intervient en plus en Affranchi, soldat et familier. Quant à François Héraud, il s'acquitte des répliques de Mercure, d'un autre tribun, d'un troisième familier et d'un licteur.